carnet de voyage




 Jeudi 8 septembre 2011
It’s the D Day

  
                     Voilà dix jours que tous les matins, ma première activité consiste à envoyer à mes trois compagnons d’épopée un petit mail indiquant le décompte du nombre de jours avant le départ. Ce matin: It’s a D Day.
    Lever à cinq heures du matin pour ma dernière journée de travail avant de partir aux antipodes, il m’est impossible de dormir, je ne peux rester au lit, que manque-t-il ? N’ai je rien oublié ?
Sept heures, départ pour Toulouse. Matinée inutile et improductive, ma rentabilité est nulle, la tête est déjà en Nouvelle-Zélande.
La matinée est vite passée et à treize heures la journée de travail est terminée. À treize heures trente je suis à l’appartement de mon fils Léo pour prendre un déjeuner léger, une douche et mettre en place mes chaussettes de contention, poudrer mes chaussures pour annihiler les hypothétiques odeurs de pied. À quatorze heures trente, départ chez Jean-Luc et Muriel à Colomiers.
Jean-Luc est prêt, assis sur le canapé, il attend bien sagement mon arrivée en compagnie de Muriel. Il est vêtu comme il se doit du teeshirt aux couleurs du Castres Olympique. Thierry et Alain arrivent un quart d’heure plus tard, nous sommes euphoriques, les premières photos immortalisant l’instant sont dans la boite, moment unique, moment de tension, moment de joie.
Nous avons une heure d’avance sur le timing prévu. Vers quinze heures trente, nous arrivons à l’aéroport de TOULOUSE-BLAGNAC. Nous ne sommes pas en retard puisque le départ pour Londres est prévu à dix-huit heures trente. L’enregistrement se terminant à dix-huit heures dix. Nous posons nos lourds et encombrants bagages devant la porte D avant d’aller garer la voiture sur le parking privé de France-Télécom qui se trouve à quelques centaines de mètres de l’aéroport. Jean-Luc bénéficie de l’accès et l’économie est substantielle. Nous revoilà tous les quatre devant le terminal D avant d’aller nous enregistrer, mes trois compagnons fument leur dernière cigarette sur le sol français avant longtemps. Alain profite de l’instant pour nous lire le texte qu’il a écrit en l’honneur de Christ Masoé quand il lui a remis le cinquième sweat-shirt, pièce de collection réalisée pour le voyage. 
 Pour tuer le temps, nous nous installons au bar de l’aéroport après l’enregistrement de nos bagages et buvons deux bières chacun, pendant que Jean-Luc préfère, déjà, boire du vin. Thierry et Jean-Luc ont profité de ce premier arrêt pour mettre discrètement leurs chaussettes de contention. La pesée fut complexe, j’avais une valise à vingt-cinq kilos pour vingt-trois autorisés. Il m’a donc fallu trouver des compagnons de voyage prêts à me faire une petite place dans la leur. La valise des beaux-parents d’Alain en a un peu fait les frais.
Nous faisons nos premiers achats communs, grâce à la caisse collective. Nous achetons donc quatre litres de Ricard un litre de whisky et deux cartouches de cigarettes Marlboro. La question centrale à ce moment-là est de savoir si les bouteilles appartiennent au collectif ou si chacun est propriétaire de sa bouteille, le débat s’engage donc pour savoir si chacun boit selon ses besoins sur le principe issu du Conseil National de la Résistance quand sont écrits les fondements de la sécurité sociale, ou si chacun gère son litre de Ricard et en boit un quand-il en a envie au risque de voir certains en être dépourvu, bien avant les autres. A travers cette petite anecdote,  c’est toute la problématique centrale du choix entre un système capitaliste ou socialiste qui s’invite à nous sans que l’on s’en rende vraiment compte, comment arriver à concilier les besoins de l’individu, porteur d'une singularité qui lui est propre dans un collectif.
Gérer collectivement les quatre litres c’est le risque, que certains, faisant fi du collectif, profitent de l’abondance du liquide pour consommer en quelques jours bien plus que si le partage s’était fait en parts égales. Comment gérer ce premier dilemme ?
Ces premiers questionnements imposent d’organiser rapidement un fonctionnement susceptible de nous permettre de vivre au mieux les trois semaines de vie collective qui nous attendent. Cela va imposer qu’à certains moments chacun puisse se séparer provisoirement, du collectif, pour que chaque individu puisse vivre sa vie sans être oppressé par le collectif au risque de le mettre en péril.
C’est à  partir de cette réflexion que je prends résolument le parti que chacun puisse gérer sa bouteille individuellement dans la mesure bien évidemment où le collectif a offert à chacun la même quantité. Je fais donc mienne la formule à chacun selon ses besoins considérant que mes besoins sont amplement pourvus avec un litre de Ricard pour trois semaines. Comme chacun sait, dans un litre de Ricard ce sont quarante doses de deux centilitres et demi. Cela revient donc à boire deux Ricard par jour. C’est donc bien suffisant pour moi, mais pour les autres ?
Ces digressions terminées, revenons au sujet qui nous occupe à savoir un compte-rendu fidèle de la tournée des Occitans en Nouvelle-Zélande.
Le départ de Toulouse-Blagnac a lieu à l’heure prévue, c’est-à-dire dix-huit heures trente, l’arrivée à Londres est prévue vers vingt heures, heure française (vingt et une heures, heure locale). C'est parti l'avion décolle et nous voilà partis pour trente-deux heures de voyage.  L'avion remonte la France en longeant la côte atlantique. Chacun reconnait une ville ou une embouchure nous sommes encore en terre connue. Survolant la presqu'ile du Cotentin le pilote se décide à traverser le channel. Nous voilà en terres britanniques, l'expédition commence. Le vol se déroule conformément à ce qui est prévu et ne connait aucun incident. Jean-Luc qui a pris discrètement quelques Lexomil entre les verres de vin ne parait pas trop anxieux. C’est de bon augure pour la suite du voyage, car, comme on dit, nous ne sommes pas au bout de nos peines. Nous atterrissons à l'heure sans souci malgré une météo humide.
  Nous débarquons dans l’immense aéroport d’Heathrow de Londres, puis nous prenons un bus qui nous amène au terminal quatre d’où est prévu le décollage pour Singapour dans deux heures. Notre état d’excitation est tel que l’attente ne nous parait pas trop pénible, malgré tout, nous cherchons un bar pour épancher notre soif, nous pensons avoir le temps.
 Il y a beaucoup de monde, c’est une véritable fourmilière. Les boutiques s'empilent les unes sur les autres, permettant aux voyageurs de se débarrasser de leur dernière monnaie. Un pub, typiquement anglais, nous tend les bras mais la foule se presse guettant la place libre dans un tohu-bohu invraisemblable au milieu d’un ballet incessant de serveurs. Dans ce contexte inutile de dire que nous ne trouvons pas de place assise, qu’importe, nous buvons accoudés au zinc. Nous passons commande : Trois pintes et verre de rouge. Nous observons le va et vient permanent des milliers de passagers qui courent et cherchent leur avion sur les panneaux lumineux disposés dans les longs couloirs de l’aéroport. Le temps passe très vite, trop vite et nous prend de vitesse, il est temps de partir chercher notre vol. En toute hâte, nous ingurgitons l’unique pinte de bière commandée à l’exception d’Alain, qui calle. Cela ne manque pas de nous étonner et de nous interroger sur son état physique et mental. Nous nous engageons dans les couloirs de l’aéroport avant de trouver la file de voyageurs du vol Londres-Singapour. Nous retrouvons un couple de Français, qui étaient déjà avec nous sur notre premier vol : Toulouse-Londres. Ils sont originaires d’Oloron-Sainte-Marie, en Pays basque. Ils ont un âge proche du nôtre et partent comme nous, voir la coupe du monde, mais pour quinze jours seulement.
Immense personnage, il ne sera pas le seul, capable de prendre sa compagne à l’autre bout du monde pour voir la coupe du monde de rugby.
Ne va-t-il pas un peu s’emmerder ? Sa compagne est-elle capable d’échanger sur la composition de l’équipe qui affrontera le Japon ? Ne va-t-elle pas râler à l’idée de passer à côté d’une visite pour mieux suivre l’équipe de France ? Toutes ces questions nous tarauderont longuement. Comment fait-il ?
Le coeur à ses raisons que la raison ne connaît point disait Blaise Pascal, cela parait si vrai dans ces moments là



Vendredi  9 septembre 2011
                Un long voyage
   
                         Vingt-trois heures, c’est le départ pour Singapour, dans notre nouvel avion, un Boeing 777, de la compagnie British Airways même si notre vol était initialement réservé sur la compagnie Qantas. La concurrence libre et non faussée semble avoir pris un trou d’air de ce côté de l’Europe. Nous nous installons à nos places côtes à côtes sauf Alain qui se retrouve seul puisque notre rangée ne comporte que trois places. Il est placé de l’autre côté du couloir. Cela ne semble pas trop le perturber puisqu’il s’est déjà ouvert à l’autre,  établissant avec son voisin Australien qui travaille à l’aéroport de Londres une relation de confiance lui permettant de s’exercer dans la langue de Shakespeare.
 Rapidement, l’ennui, les douleurs articulaires et les odeurs gagnent du terrain sur l’euphorie, nous ne sommes plus dans un vol Boeing 777 en direction de Singapour, mais dans la Géhenne expiant nos fautes, sauf que pour nous, le martyre ne prendra fin qu’à l’arrivée soit dans douze heures.
Le temps s’est arrêté et ce ne sont pas les cinq minables films proposés en français qui vont nous aider à tuer l’ennui. Régulièrement, à tour de rôle chacun se lève et va faire un tour en queue de l’avion pour se dégourdir les jambes. Le repas vient rompre la monotonie mais pas l’ennui. Puis soudain le temps s’accélère, après trois heures de vol, il fait jour, nous avons donc rattrapé le temps planétaire. La nuit reste donc blanche au sens propre comme au sens figuré même si les hôtesses nous imposent de fermer les hublots pour maintenir l’obscurité à l’intérieur de l’appareil permettant à certains de pouvoir dormir.
Quand j’écris hôtesse, c’est uniquement pour reprendre l’appellation usuelle de la langue française dédiée à ces emplois, car si la nôtre déhanche comme une vraie, elle ressemble plutôt à Plastic Bertrand et est aimable comme la femme de Ceausescu : Helena. La British Airways s’entoure vraiment de drôles d’hôtesses.
 Ces aéroplanes destinés aux longues distances sont dotés d’un appareillage informatique bien utile et fort agréable. Derrière chaque siège, un petit écran vidéo permet de regarder des films et des documentaires. Les documentaires sont tous en anglais, seuls cinq films sont en français, dont deux sont des dessins animés. Un seul film trouve grâce à mes yeux, un thriller anglais me permettant d’oublier le temps pendant deux petites heures pour une durée de voyage de douze heures. Cet écran est aussi doté d’un petit ordinateur de bord nous informant en temps réel de la température extérieure, de l’altitude  de la vitesse et ce que nous survolons. Sur l’écran se succèdent des cartes réduisant la terre à des dessins où le vert des terres et le bleu des mers sont tranchés par le petit trait rouge symbolisant le déplacement de notre avion. Quelques noms de mégapoles permettent de nous orienter et de savoir où nous sommes. Très lentement, l’icône de notre avion se déplace, traverse les mers, survole les montagnes, plane au-dessus des plaines, franchit les frontières, ignore les hommes, transperce les nuages et fend l’azur, nous avançons. 
Ne pouvant rester assis trop longtemps, je passe une grande partie du vol à l’arrière de l’avion à proximité immédiate des effluves des sanitaires où un petit hublot resté ouvert me permet de suivre le voyage et d’observer la terre en compagnie le plus souvent de  Jean-Luc. Alain se consacre exclusivement au visionnage des films proposés quant à Thierry, sa préparation Jet Lag chez son oncle à Gruissan lui permet de dormir une demi-heure toutes les heures à moins que cette capacité à vivre aussi sereinement le voyage soit en lien avec le vin servi à volonté lors du repas pris précédemment ?
Près du hublot, à l’arrière de l’appareil, et à dix mille mètres d’altitude, nous pouvons admirer les paysages et chercher à savoir où nous sommes. Est-ce la mer Noire ou la mer Caspienne ? Repérer les villages, mais surtout mettre un nom à telle ou telle ville. Nous passons des rivages découpés aux immenses montagnes de l’Himalaya en peu de temps. Observer des lacs, des rivières, des routes, des chemins, pour nous repérer, où sommes-nous ? Ici, je sais, ce sont les belles et désertiques montagnes afghanes, si belles vues d’ici, si laides quand l’homme s’en mêle. 
C’est magnifique et magique, le voyage se transforme, il prend réalité dans la chair, viscéralement, on perçoit l’immensité de la planète tout en mesurant sa petitesse et sa diversité. Tout ce qui parait grand et important au sol devient minuscule et insignifiant en l’air. Nos guerres millénaires, matrices des découpages territoriaux et ethniques du monde actuel paraissent lointaines, stupides et dérisoires. À l’entrée en sixième, si tous les enfants pouvaient en guise de bienvenue dans le monde scolaire faire le tour du monde en avion, les cours de géographie en seraient transformés, les vocations de géographes légions et les rencontres culturelles faites de curiosités et non de craintes, encore une utopie…
Nous jouons les Bernard Guetta de France-Inter, devenant à notre tour des géopoliticiens du dimanche. Quand on observe les vallées afghanes d’aussi prêt puisqu'elles sont à trois ou quatre mille mètres d’altitudes et que nous volons à neuf mille mètres, nous voyons très distinctement leurs typographies. On découvre de larges vallées désertiques blotties entre d’immenses chaînes montagneuses dans lesquelles apparaissent quelques villages reliés par des chemins ridicules. C’est une succession de vallées s’étendant à l’infini pendant une heure de vol. L’Afghanistan est grand comme la France, ce qui laisse donc pas mal de place aux talibans pour se cacher. On comprend ainsi, beaucoup mieux, pourquoi les Britanniques puis les Soviétiques et maintenant les Américains ne peuvent pas contrôler la totalité du pays et comment cette guerre est perdue d’avance.
Le Pakistan est le pays suivant, mais ses montagnes ne diffèrent guère de celles de l’Afghanistan, nous ne voyons pas Ben Laden. L’inde, à contrario, vue de beaucoup plus loin, est une mosaïque multicolore de rectangles et de parallélépipèdes  correspondant certainement à des champs, dessinés par l’homme le soleil et la pluie. Les agglomérations paraissent gigantesques comparées à celles d’Afghanistan.  Des fleuves immenses traversent les plaines donnant à l’embouchure des villes tentaculaires. Puis arrive le golfe du Bengale, sans intérêt à cette hauteur même si l’on peut observer certains bateaux, avant d’arriver sur Sumatra et la Malaisie par le détroit de Malacca. Les bateaux y sont pléthores et nous pouvons admirer ces milliers d’embarcations imaginant les pirates accostant un porte-container. Près d’un quart du transport maritime mondial passe par ce détroit, ceci expliquant cela.
 Enfin, nous arrivons à Singapour, la cité marchande aux confins de l'orient, la cité du lion, le deuxième port au monde et un des plus beaux aéroports du monde.
Il est onze heures du matin à l’heure de Londres, mais dix-sept heures à l’horloge locale, en effet, le crépuscule pointe. Cela fait donc une journée que nous ne voyons pas passer puisqu’elle n’aura duré que dix-huit heures théoriquement pour nous. Dans les faits, ce fut une des journées biologiques les plus longues de notre vie avec les effets du premier décalage horaire et donc la rencontre avec notre désormais célèbre premier Jet Lag.
Le Jet Lag décrit l'ensemble des symptômes résultant de l'adaptation de l'organisme à un nouvel horaire, les rythmes biologiques se  désynchronisent et les heures de repas, l'activité et l'endormissement sont décalés à cause du décalage horaire lié à un long trajet aérien transméridien. En éminent spécialiste rugbystique qu’il est, Alain a observé attentivement comment le quinze de France a géré le voyage avec ses préparateurs physiques pour venir en Nouvelle-Zélande. Il ne faut absolument pas dormir dans cette première partie de vol, par contre entre Singapour et Sydney il faut dormir puisque nous devons arriver à Sydney à cinq heures du matin, heure locale. Ainsi si nous dormons dans les neuf précédentes heures de notre arrivée à Sydney, nous nous recalons avec le temps. Pour avoir pendant les trois jours précédant notre départ beaucoup étudié la question, je valide les propos d’Alain. J’ai moi-même pendant trois jours, anticipé le temps, me levant à trois heures du matin et me couchant à vingt heures le soir pour pouvoir profiter de la Nouvelle-Zélande dès que mon pied y foulera son sol.
Notre deuxième vol prend fin et nous arrivons enfin à Singapour. Théoriquement, cette escale est une escale technique et nous ne devons même pas sortir de l’avion, heureusement pour nous, il n’en est rien et le personnel nous invite à aller nous dégourdir les jambes. Nous comprenons que nous avons deux heures devant nous pour aller flâner dans les dédales de l’immense aéroport. Nous laissons donc toutes nos affaires et sortons de l’appareil.
L’aéroport de Singapour est un immense espace commercial où les boutiques se succèdent sans discontinuité. Elles proposent toutes sortes de produits de luxe, d’alcool et de tabac. Nous essayons en vain d’acheter une petite bouteille supplémentaire de whisky dans un Dutty-Free, mais comme nous sommes en transit nous n’y avons pas droit, peu importe, nous sommes parés avec nos quatre litres de Ricard, ce petit contre temps ne nous contrarie même pas.
 Nous nous rendons dans un bar situé en plein air, sur le toit de l’aéroport, permettant ainsi de fumer et de boire une bière. A peine sommes-nous à l’extérieur qu’une chaleur suffocante et moite caractéristique de ces régions nous assaille. C’est la première fois de ma vie que je me trouve sous les tropiques. Malgré les ventilateurs, les brumisateurs et la bière très fraîche de la célèbre marque hollandaise servie au bar le poids de la chaleur et de l’humidité se fait oppressant L’euro est notre monnaie d’échange même dans cette région du monde, l’Europe s’exporte bien finalement.
 Nous passons une bonne heure autour de ce bar à discuter et à observer l’ambiance et la démesure de cet aéroport. A proximité un luxuriant petit jardin tropical embellie le lieu même si nous sommes entourés de tous les intoxiqués de la nicotine de l’aéroport. À la télévision, branchée derrière le bar, nous découvrons les premières images de rugby avec le match d’ouverture de la coupe du monde 2011 Tonga-Nouvelle-Zélande. En quelques minutes, nous comprenons que le Tonga ne fera pas le poids.
  Le temps passe vite devant un bar, bien plus vite que dans un avion, nous n’avons plus le temps de visiter l’aéroport et de voir tous les trésors qu’il recèle, nous revenons à grandes enjambées en salle d’embarquement. En arrivant à la porte, Jean-Luc blêmit en comprenant ce qu’il se passe. Lors de la descente de l’avion nous avions compris que nous pouvions tout y laisser or que nenni car un grand nettoyage était prévu. Du coup dans le couloir d’embarquement, divers sacs, sacs à dos et différents objets sont posés à même le sol. Les nôtres en font partie. Nous sommes invités à les récupérer sauf que le téléphone portable que Jean-Luc a laissé dans la poche arrière du siège n’est pas là. Nous supposons qu’il est resté dans l’avion, mais quand nous pénétrons dans celui-ci le téléphone portable n’est plus là. Ainsi après dix-huit heures de vol Jean-Luc perd tout lien oral avec la France.
Vers dix-neuf heures, nous repartons pour huit nouvelles heures de vol dans le même avion, tout juste rafraichi en direction de Sydney en Australie. Ces huit heures de vol paraissent beaucoup moins pénibles.  Le manque de sommeil nous accable et nous nous effondrons littéralement sur nos sièges. Nous dormons quatre à cinq heures laissant tout de même le temps pour Alain de voir un dernier film. Nous arrivons à Sydney vers quatre heures du matin heure locale, mais à vingt-deux heures, heure castraise. Voilà vingt-six heures que nous avons décollé de Toulouse.
 L’arrêt est théoriquement très court, il est prévu  une heure. Nous profitons du temps imparti pour nous rafraichir longuement dans des toilettes très propres et très spacieuses de l’aéroport. Certains profitent de cette halte pour faire une grosse commission, d’autres profitent de cette salle de bain surréaliste et totalement déserte pour se laver le corps, et la tête dans des rugissements de fauves blessés. 
Alors que nous nous apprêtons à repartir pour un nouveau et dernier vol de trois heures trente en direction d’Auckland, nous sommes contrôlés une dernière fois par la police de l’air et des frontières australiennes.
Après un petit enregistrement de routine, un policier nous demande de lui faire passer le sac Dutty-Free contenant les cigarettes et le Ricard. Avec un cutter il ouvre l’emballage et nous confisque les quatre litres du breuvage magique anisé favoris des supporters de rugby. Le ton monte très vite, mais il ne veut rien entendre, nous frôlons l’incident diplomatique. Nous consultant pour savoir si nous continuons le voyage ou si nous prévenons l’ambassade de France à Sydney, nous jugeons préférable de ne rien dire et d’embarquer pour Auckland reléguant définitivement le peuple australien au rang de sous peuple américain, rejetant définitivement l’équipe des  wallabies dans le camp des peuples haïs et sifflés dès leur entrée dans un stade. La vie est ainsi faite, du hasard des rencontres peuvent déboucher de la haine et des guerres fratricides.
Imaginons un seul instant que nous ayons des positions politiques et militaires importantes on peut imaginer que la guerre est déclarée avec l’Australie en cet instant. Membre de la délégation et en qualité de président de « Castres à Gauche Vraiment » je refuse de tomber dans le piège tendu par l’Australie. Nous rejoignons notre avion et racontons nos mésaventures à toutes les personnes susceptibles de nous comprendre. Un couple de Français exprime sa profonde empathie à notre encontre venant de subir les mêmes désagréments quelques instants auparavant. Comme prévu notre dernier vol Sydney-Auckland décolle à cinq heures du matin pour les trois dernières heures de vol.


Samedi 10 septembre 2011
Auckland
                France-Japon

             

          Notre arrivée à Auckland se passe sans encombre. Nous atterrissons vers onze heures (heure locale) soit minuit en France, pour mémoire nous sommes partis depuis trente deux heures. Ce dernier vol fût d’autant plus rapide que j’ai beaucoup dormi épuisé par ces heures de vol. J’ai même sauté le petit déjeuner servi par les hôtesses puisque mes soi-disant camarades n’ont pas cru bon de me réveiller quand celle-ci est passée proposer un petit déjeuner. Ils ont beaucoup ri à mon réveil, faut bien que jeunesse se passe.
Notre voyage a donc duré trente-deux heures, mais en temps solaire il a duré : quarante-deux heures quasiment deux jours si l’on rajoute nos trois heures d’attentes à l’aéroport de TOULOUSE.
Nous voilà donc à Auckland et là dès l’aérogare…… j’ai senti le choc un souffle barbare j'ai changé d'époque. Come on ! Ça démarre sur les starting-blocks.
 C NOUGARO aurait aimé, c’est du maori.
L’accueil est magnifique, nous passons sous une immense porte faites de sculptures de bois dans la plus pure tradition maori, avec en fond sonore une musique traditionnelle chamanique qui rajoute de l’émotion et de la tension. Aux murs de grandes affiches et de belles photos nous expliquent que c’est tout un peuple qui va vibrer derrière son équipe de rugby.

                                      KIA ORA AOTEAROA

Discrètement à l’abri du regard de mes congénères, l’émotion me gagne, je verse une petite larme, c’est fait, nous sommes en Nouvelle-Zélande.
Notre passage dans l’espace Dutty-Free nous permet de nous réapprovisionner avec une bouteille de whisky et une de gin en prévision de notre long périple. Tout à coup, comme pour nous dire bienvenu en langage maori « kia ora » nous découvrons une petite bouteille de Ricard, toute seule, déposée sur une étagère. Elle semble comme perdue au milieu des innombrables et vulgaires bouteilles de whisky et de vodka. Nous l’emportons dans nos bras et l’adoptons tout de suite. Enrubannée dans un linceul rouge elle va nous accompagner tous les soirs à la veillée quand, fermant les yeux, nous penserons au pays à l’autre bout du monde.
L’organisation est au point, de nombreuses hôtesses dont certaines parlant un français impeccable viennent à notre rencontre, comme elles sont sympas et attirantes on se méfie…A l’évidence, elles cherchent à nous faire dépenser nos premiers dollars néo-zélandais mais nous résistons et sortons de l’espace commercial avec nos trois bouteilles.
Après cet agréable accueil dans la première partie de l’aéroport, nous faisons connaissance avec la douane et avec le Département Of Conservation (DOC) qui est le gardien du trésor du pays : La nature. Les employés vérifient que nous ne transportons pas dans nos sacs des fruits, des aliments, des graines etc. susceptibles d’introduire des parasites aux conséquences irrémédiables sur la flore de l’île. Finalement seul Thierry subit un traitement de faveur et se voit obliger de vider ses sacs, les agents du DOC ont reconnu en lui, le baroudeur du groupe. 
Les obstacles administratifs terminés nous voilà dans le hall de l’aéroport. De nouvelles hôtesses charmantes et toujours aussi avenantes, parlant toujours français, nous indiquent la marche à suivre et une d’entre elles va même jusqu’à téléphoner à notre agence de location de campervan pour leur signaler notre arrivée et pour qu’ils nous envoient la navette.
Thierry et Alain fument à distance à l’extérieur car ici aussi le fumeur est mis à l’index. Ils expliquent à un couple de néo-zélandais le désagrément subi à Sydney. Nous voilà rassurés, ceux-ci nous confirment que les Australiens sont des cons. Ils expliquent la haine qui uni ces deux îles au bout du monde et qui les met en concurrence. Désormais nous sommes du côté des Blacks. Nous observons le ciel et constatons que la température est clémente et que le soleil est au rendez-vous, nous avons une petite pensée envers tous ceux qui en France n’ont cessés de nous dire que nous allions avoir froid.
Un quart d’heure plus tard, un chauffeur de l’agence de location vient nous récupérer et nous conduit dans les locaux d’Alpha campervans. Il nous amène en périphérie de l’aéroport où nous attend notre nouvelle maison mobile : Un magnifique Mitsubishi Fuso with 3.6 litre turbo Diesel Engine. De nombreuses démarches administratives nous attendent avant de pouvoir prendre possession de l’engin. L’hôtesse est charmante, c’est Anne Piot ma correspondante avec qui chez fait affaire par Internet et avec qui j’ai communiqué pendant près de six mois. Je la félicite pour son français parfait aussi bien écrit que parlé. Elle me remercie et m’explique qu’elle n’a aucun mérite car elle est originaire de Clermont-Ferrand…quelle déception. Elle nous explique qu’elle est tombée amoureuse de ce pays voici quelques années et que depuis elle y a trouvé un mari et y a fondé une famille. Elle ne revient plus en France et nous parle de son nouveau pays d’adoption avec amour et passion.
Nous la quittons pour suivre une autre employée qui parle aussi très bien français et qui est originaire de Singapour. Nous suivons à la lettre ses recommandations et ses instructions concernant le véhicule. Il nous faut tout enregistrer rapidement. Elle nous explique comment brancher l’eau, le gaz, l’électricité mettre du carburant, comment soulager à l’arrêt les batteries, le déploiement des couchages le soir, comment fonctionne le frigidaire et le four, etc…, le chauffage. Nous avons bien écouté pensions nous…  
Une heure plus tard nous nous jetons sur les routes néozélandaises au volant de notre nouvelle maison mobile. Départ vers Auckland avec Alain au volant à droite qui se débrouille bien mieux que moi pour ses premiers kilomètres à gauche. Dès le premier rond-point, des divergences de vues apparaissent pour savoir si c’est à droite ou à gauche que nous devons aller. Alain au volant prend la décision, qui va s’avérer la bonne. Auckland nous tend ses bras et sans trop nous perdre ou nous engueuler, ce qui est un petit exploit vu notre fatigue et assez encourageant pour la suite du voyage nous arrivons à North Harbour Stadium vers quinze heures pour le premier match de l’équipe de France à dix-huit heures. Pour être tout à fait honnête, nous avons fait une petite boucle et interrogé l’autochtone car nous étions égarés dans les faubourgs d’Auckland. Mais l’essentiel est que nous sommes à bon port à l’heure dite.
Le stade se situe en périphérie nord de la ville de North Shore, sur un vaste domaine composé d’espaces verts, de centres commerciaux et d’une université. De nombreux parkings sont à notre disposition et il est relativement aisé de stationner malgré le volumineux empattement de notre campervan. Le beau temps est de la partie et un soleil généreux brille sur le Stadium de North Harbour. Un petit vent frais rappelle néanmoins que l’hiver n’est pas loin. Nous profitons de cet espace, pour faire nos premières courses et découvrir le New World, notre premier supermarché néozélandais. Nous achetons juste les ingrédients pour le petit déjeuner du lendemain matin et quelques bières au cas où.
  Les courses terminées, vêtues de nos deux sweats « made in France » et du béret du Castres Olympique nous partons au stade dans un enthousiasme juvénile.  Les maillots français réalisés par Thierry font fureurs et tout le monde nous regarde passer. A l’évidence nous passerons à la télévision.
La première chose que nous faisons est de récupérer les places commandées voici plusieurs mois sur Internet. Si nous avons les copies des mails indiquant que nous avions les places et les débits effectués par l’IRB sur nos cartes de crédit nous n’avions pas encore le précieux sésame. L’angoisse tenaillait Jean-Luc qui, nous le découvrons, est un angoissé permanent. Pas de souci, l’organisation est au point, en quelques minutes, nous avons nos places. À quinze heures trente, nous pouvons nous promener dans les allées du stade avec les nombreux supporters français présents.
Première déception, si l’organisation est au point, elle comporte néanmoins les mêmes tares que dans notre vieille Europe à savoir que le business y est roi. Heineken, sponsor officiel a tout verrouillé et la canette de bière exclusive de la marque coûte sept dollars cinquante et ne peux s’acheter que par pack de quatre soit trente dollars néo-zélandais, c'est-à-dire vingt euros. Cela aura au moins l’avantage de nous limiter dans notre consommation de houblon.
 En nous promenant autour du stade nous croisons de nombreux supporters qui arborent des déguisements aussi cocasses et loufoques que possible. Incontestablement, nous ne sommes pas les seuls à avoir fait le déplacement et nos tenues vestimentaires font pâle figure à côté de certains. Un couple de Français croisé dans l’avion vient nous saluer. Lui est habillé en Astérix, elle en Obélix et ils sont heureux d’être là comme quoi il faut de tout pour faire un monde. Notre certitude de passer à la télévision est émoussée.
 Nous rencontrons même un jeune supporter enroulé dans un drapeau de la CGT. Je vais donc saluer ce camarade à vingt mille kilomètres de Montreuil. Il nous rappelle que c’est grâce à la CGT qu’il a pu prendre ses congés payés pour venir en Nouvelle-Zélande et qu’il tient à le rappeler à qui de droit. Je trouve la chose salutaire, car je ne suis pas sûr que beaucoup de Français présents le sachent.
De nombreux supporters japonais sont aussi présents ce qui est une surprise, car nous ne savions pas que le rugby au pays du soleil levant était si populaire. Bref ambiance sympathique où chacun y va de son petit commentaire. Nous croisons une multitude de groupes de supporters et quelques vedettes du petit écran comme P Sella mais aussi Jacques Valax, le député PS d’Albi, ainsi que notre inénarrable député Philippe Foliot qui vient nous saluer et nous proposer de boire un coup à ses côtés à la fin du match. Nous répondons favorablement à l'invitation.
Nous pénétrons dans l’enceinte du stade à trente minutes du coup d’envoi.
La jauge du stade annonce trente mille spectateurs, il est quasiment plein même si ici ou là quelques places sont encore disponibles. Il y a une immense et belle tribune sur un côté de la pelouse et pour les trois côtés restants ce sont de grandes tribunes amovibles. L’ambiance est bon enfant. Pas de policiers en tenue, peu de barrières de sécurités et à aucun moment nous ne nous sentons oppressés par un service d’ordre cherchant à intimider le hooligan qui couve en nous. Beaucoup de drapeaux et d’oriflammes, mais un stade somme toute bien tranquille à l’image du lieu immense et paisible.
Le match ne nous laisse pas un souvenir impérissable et la France viend difficilement à bout d’une équipe du Japon, ce qui inquiète l’ensemble de la colonie française en vue des prochaines échéances. Les plus optimistes disent qu’ils ont géré le match comme il le fallait. Cela me fait penser à P Sansot qui écrit que désormais le rugby moderne nous apprend à gérer un match comme on gère son temps ou son couple.
En tout cas, le score est serré jusqu’à la soixante-dixième minute, puisque les bleus ne mènent à ce moment de la partie que 25 à 21. Cela aura le mérite de nous éviter de nous endormir, car les effets du désormais célèbre Jet Lag se font sentir et l’on observe que quelques paupières ont du mal à rester ouvertes.
À vingt heures trente, nous quittons le stade heureux d’avoir assisté à ce premier match de l’équipe de France en terre néo-zélandaise. Nous sommes désormais dans la peau des supporters de notre équipe nationale à vingt mille kilomètres de notre patrie. Au final, nous avons vaincu le Japon : 47 à 21.
Le député opiniâtre nous retrouve dans la foule qui quitte l’enceinte du stade et nous invite à le suivre pour boire un coup tous ensemble. Transformé par mes nouvelles responsabilités de supporter de l’équipe de France j’accepte de me compromettre avec le représentant de la bourgeoisie et de trahir la classe laborieuse, car j’ai devant moi et avant tout un représentant du peuple de France en terre ennemie et comme le disait en son temps Aragon: Quand les blés sont sous la grêle Fou qui fait le délicat Fou qui songe à ses querelles.
Accompagnés du consul de France à Auckland qui semble rond comme une queue de pelle, mais qui reste particulièrement marrant nous partons chercher un abreuvoir.
Après quelques centaines de mètres, nous trouvons deux ou trois bars dans l’immense centre commercial qui jouxte le stade. Comme convenu, le député offre un coup et quelques frites à ses quatre administrés. Nous nous installons dans le pub et commandons notre première pression néozélandaise au milieu des supporters français. Nous rencontrons bien entendu des français du sud et comme par hasard des tarnais. Le monde est bien petit, il se penche à hauteur d’Alain le saluant et lui rappelant que c’est un ami de Patricia et plus exactement de Teillet. Il a fait ses études au collège à Alban et semble garder de très bons souvenirs de Patricia. Nous ne chercherons pas à en savoir plus.
Prenant un peu de distance sur les évènements, je décide d’aller soulager ma vessie et profitant de l’instant, je me regarde dans la glace des WC. Je ne pouvais, une fois de plus, que m’incliner devant la bêtise humaine : Faire vingt mille kilomètres pour aller à la rencontre du peuple néo-zélandais et se retrouver avec Philippe FOLIOT à boire un coup à la buvette du stade comme si nous étions au stade Pierre Antoine, faut vraiment être de gros cons, me dis-je !
Bref décidé à stopper cet immense gâchis et faire prendre conscience à mes trois compagnons de fortune de la situation je reviens à la table. Philippe nous a ramené un de ses compagnons de virée, Jean-Michel, nous faisant boire le calice jusqu’à la lie dans l’allégresse générale. Rapidement, Alain fidèle à sa nature dialogue avec le compagnon de fortune de Philippe. Il s’avère que c’est un vrai amateur de rugby et tient la discussion sans problème. Capable de nous parler du Lourdes de 58 comme du Béziers de 73. Philippe comprenant qu’il n’a pas sa place, se recule progressivement de la tablée pour mieux dialoguer avec son iPhone et nous laisser entres nous.
Je prends définitivement de la distance et regarde, en compagnie des nombreux supporters français présents, Argentine-Angleterre, sur les écrans de télévision du pub. Le match vient de démarrer et se joue à Wellington. Fidèles à notre club castrais, qui est devenu en quelques années un lieu de villégiature apprécié des quelques pumas que compte le championnat français, nous soutenons l’équipe d’Argentine face à la perfide Albion, ancestralement et culturellement haïe par le peuple rugbystique français. Celui de la première heure, il va s’en dire, car les culs serrés, à l’accent pointu, vêtus de roses, rugbymans de la vingt-cinquième heure, les ont bien entendu accueillis dans le club de la capitale.
 Convaincu que le compagnon de Philippe ne peut être que son clone, je me refuse à entamer le dialogue avec lui. À cet instant, j’éprouve un profond dégout concernant la situation et pourtant c'est dans ces moments-là que la magie du rugby opère.
Jean-Michel carrière devient rapidement Dédé (ne nous demandez pas pourquoi ? Lui-même ne le sait pas !) Il nous parle bien sûr de rugby, mais aussi de lui et de sa région Sarlat, de son ancien métier, puisqu’il est  tout jeune retraité. Il a été instituteur dans un Institut Médico-Educatif, ce qui commence à pouvoir le rendre sympathique, mais quand il nous parle de son engagement politique au « Front de gauche » il devient notre ami.
Autant dire qu’aujourd’hui Dédé est désormais un camarade ! C’est ça aussi le rugby.
Après quelques pintes, nous décidons d’aller passer notre première nuit néozélandaise dans notre campervan. Il est encore tôt, il est vingt-trois heures, mais nous subissons les effets tant redoutés du Jet Lag. À ce sujet, nous ne serons jamais si ce sont les effets du Jet Lag ou de la bière néozélandaise qui mirent ce soir-là Jean Luc en position horizontale au milieu du Pub après qu’il eut percuté de façon violente la vitrine, il s'est relevé, digne comme si de rien n'était pendant qu'alain pleure de rire l'enfoiré. 
De retour au campervan après avoir quitté nos amis, nous nous trouvons devant une nouvelle problématique : comment évacuer les repas emmagasinés depuis trois jours dans nos corps sachant que d’un commun accord il est hors de question d’utiliser les WC chimiques du campervan. Chacun y va de sa stratégie et de ses compétences pour trouver une solution individuelle à l’exception d’Alain qui a chié n’importe où depuis trois jours.
Thierry malgré des caméras omniprésentes sur les parkings et sur les carrefours n’hésite pas à braver Big Brother et à s’infiltrer dans un épais sous-bois à proximité pour se délester de sa merde. Je décide, comme Jean-Luc de la garder un peu plus longtemps, c’est encore la France qui nous accompagne, le cordon n’est pas encore complètement coupé.
Enfin à la maison, nous voilà installés et il n’est que vingt-trois heures trente, mais treize heures trente en France. Personne ne veux dormir avant d’avoir fait une première petite coinche, bien nous en a pris puisque vers minuit et demi un jeune gardien du parking, pilotant une petite voiture électrique du type de celles que l’on voit sur les terrains de golf, sans bruit donc, vient gentiment nous demander de quitter les lieux, car il n’est pas possible de passer la nuit sur ce parking. Nous obtempérons car il est difficile de jouer les étonnés vu que c’est écrit un peu partout.
C’est ainsi que vers une heure du matin nous partons à la recherche d’un lieu de villégiature dans la campagne hostile néo-zélandaise. Durant le trajet, avec  Jean-Luc nous sombrons dans un sommeil profond et comateux à l’arrière du campervan, pendant qu’Alain et Thierry nous promènent sur les hauteurs de North Shore cherchant un lieu sympathique. Finalement nous nous garons sur le bas-côté d’une route peu fréquentée, épuisés.
L’organisation de la nuit se met en place. Jean-luc dort dans l’espace commun de la salle à manger, ce qui va l'obliger à faire et défaire le lit tous les jours. Thierry et Alain dorment au fond du camion sur deux lits pouvant être attenant. A priori, ils font le choix de mettre un espace entre eux. Quant à moi, je dors dans  la bannette située sur le poste de pilotage.
 C’est ainsi que se termine notre première journée au pays des kiwis.




             Dimanche11 septembre 2011
                 Aukland- Orewa
La découverte de l’île du Nord
                                 Le Dimanche 11 septembre s’annonce particulièrement pluvieux. Toute la nuit des bourrasques de vent et des averses violentes se sont succédées. Le climat néo-zélandais ressemble à son chant maori le hakka violent, puissant et bref à la fois. Dès six heures tout le monde est réveillé, on ne se débarrasse pas du Jet Lag comme ça.
Assis, à l’abri dans notre salle à manger mobile, nous observons la pluie qui ne cesse de tomber pendant que nous prenons notre premier petit-déjeuner néo-zélandais copieux et malgré-tout très français puisqu’il est composé de pain de mie de confiture de beurre et de café. Nous prenons la décision de revenir sur North Arbour Stadium poser notre campervan sur le parking que nous avons quitté quelques heures plus tôt puisque dans l’après-midi nous devons voir sur le même stade que la veille : Australie-Italie.
Dès les premiers kilomètres parcourus dans la campagne néo-zélandaise plusieurs constats sautent aux yeux. Une végétation luxuriante et totalement inconnue à nous se dévoile, nous n’avons jamais vu ces espèces d’arbres ou de fleurs. L’organisation péri urbaine est complètement différente de ce que nous connaissons. Les fermes, ressemblent à des pavillons de banlieue en ossature bois, elles se succèdent les unes aux autres mais il n’y a pas de centre-ville érigé autour de l’église de la mairie et de l’école. Il n’y a pas  d’histoire…
La banlieue d’Auckland est essentiellement faite de paysages ruraux. Les bovins et les ovins broutent à dix kilomètres de son centre, dans sa banlieue au milieu des pavillons. Ce premier regard lapidaire du pays nous oblige à faire des comparaisons. Nous optons pour le Pays basque, la nature et la météo s’en rapprochent incontestablement. Nous observons des prairies vertes, grasses et vallonnées quadrillées de nombreuses clôtures où paissent des herbivores. Le ciel est chargé de cumulonimbus prêts à déverser  des litres d’eau mais le ciel bleu tape à la porte avec  de magnifiques arcs-en-ciel comme décors intermédiaires. Il faut aussi s’habituer qu’ici, septembre est le premier mois du printemps et comme chez nous en mars, c’est un moment magnifique où la nature apparaît dans sa beauté primitive. La fraîcheur des couleurs  et la luminosité sont des instants magiques pour qui sait la regarder.
Comme prévu, nous nous garons sur le parking et nous faisons des courses dans le même centre commercial que la veille. Nous avons aussi comme objectif de poser l’encombrant bagage transporté depuis Toulouse dans nos viscères qui commence à nous peser sérieusement.
Le centre commercial ressemble aux nôtres que ce soit dans son organisation comme dans le métrage. C’est  une immense galerie marchande qui se déploie avec tout au fond le supermarché qui vous attend. La différence repose plus sur les noms des enseignes. Nous voyons peu de marques habituelles connues en Europe à l’exception d’une boutique Quiksilver.
Nous remarquons beaucoup de commerces de restauration rapide, bien évidemment le Mac Do, mais d’autres aussi beaucoup d’autres : Sushi, donnut’s, etc. Au fond de la galerie se trouve un grand complexe cinématographique avec cinq à six films à l’affiche, dont quatre films américains. Pour le coup nous sommes moins dépaysés. De nombreuses boutiques de type « la Farfouille » que l’on qualifiait naguère de bazars sont très présentes. D’autres boutiques de décorations intérieures et de téléphonie s’étalent, la différence s’observe surtout par les nombreux salons de coiffures et de pédicures ainsi que les librairies. A contrario les boutiques de vêtements et de parfums sont pratiquement inexistantes, cela ne nous gêne pas vraiment même si nous pensons déjà aux souvenirs.
Après avoir profité des toilettes publiques sans modération, très propres au demeurant, nous achetons un téléphone mobile permettant d’appeler la terre patrie, avec un forfait limitant les appels aux téléphones fixes. Même si notre anglais a formidablement progressé, il reste tout de même au niveau moyenne section maternelle. Il ne nous permet de comprendre toutes les subtilités du forfait. Nous comprenons que pour vingt dollars néo-zélandais (soit treize euros) nous avons dix heures de communication. Avec l’achat du téléphone cela nous reviens  à quatre-vingts dollars néo-zélandais, ce qui parait très correct, nous sommes sceptiques……Avons-nous bien compris ?
Nous terminons cette matinée grande surface un dimanche matin, par les achats alimentaires. Nous constatons que les prix indiqués restent relativement élevés et que pour la plupart d’entre eux c’est à quelque chose près ceux de la France. Si la viande est moins chère, le fromage est bien plus cher par exemple, quand au vin, le vin de table n’existe pas cela commence donc à dix dollars la bouteille.
De retour au campervan, il est déjà onze heures trente. Le Match Australie-Italie est programmé à quinze heures trente, mais vu la météo il parait difficile d’aller flâner sur Auckland tellement-il pleut. Nous décidons donc de déjeuner sur le parking, à l’abri en attendant l’heure, tout en terminant la partie de coinche commencée la veille. Les premières cacahuètes et le Ricard sont de sortis. C’est la faute à la pluie.
Un camping-car rempli de japonais, plus exactement six dont deux couples mixtes profil ancienne époque (un garçon et une fille) et deux hommes profil nouveau couple vient se garer à nos côtés.
Il est temps de passer à autre chose, car la partie de cartes tourne au pagnolesque et Thierry et Alain rarement d’accord continuent de s’engueuler sur la composition de l’équipe du CO championne de France en 93 et pour laquelle, à mon grand étonnement, Jean-Luc, ne peut répondre avec certitude. Les supporters pharmaciens sont vraiment étranges, ne pas savoir qui faisait partie de l’équipe lors du sacre me parait hallucinant !
Pour moi c’est plus facile personne ne me conteste la compo du SCG en huitième de finale en 73 à Lourdes face à Agen. Guy Laporte avait mis un drop à la soixante-seizième minute de jeu et nous avions battu Agen 12 à 7 et je crois même être capable de donner la composition complète…peut-être que je m’égare…
Bref, ces Japonais viennent rapidement s’assoir dans notre campervan et échanger quelques commentaires sur le match de la veille et sur le rugby en général. De nombreuses photos sont prises immortalisant cette rencontre pittoresque et historique clôturant définitivement la seconde guerre mondiale pour nous.
 Oui, je peux l’affirmer, grâce à la coupe du monde de rugby, nous nous sommes réconciliés avec le peuple japonais. Ils ont bu du vin dans nos verres et nous ont offert de nombreux présents, dont des gâteaux à manger durant l’apéro. Pour les gâteaux ce ne fut pas facile, mes camarades réticents à changer leurs habitudes culinaires ancestrales associant la cacahuète et le pastis ont du mal à avaler ces gâteaux surtout Alain.
Très gentiment notre ami japonais lui fait observer que l’emballage se mange aussi, cela a pour effet immédiat de transformer le sourire d’Alain en un rictus caractéristique  de quelqu’un qui est très constipé doublé de quelques soucis hémorroïdaire. L’emballage est composé d’algues aux odeurs de putréfactions caractéristiques. Alain mastique longtemps très longtemps  son présent sous le regard ébahi de la colonie japonaise. Avant de nous quitter, ils prennent le soin de nous laisser quelques sachets lyophilisés à boire pendant notre séjour néozélandais en souvenir de cette rencontre, nous immortalisons cette rencontre par une séance historique de photos.
Après ce moment convivial nous partons en direction du Stadium North Harbour. Vêtus de nos désormais célèbres bérets et de nos magnifiques sweats nous allons vers les mêmes guichets que la veille, nous commençons à avoir nos repères. Une ambiance festive et joyeuse est au rendez-vous. De nombreux supporters Australiens accompagnent la première sortie officielle des wallabies. Les supporters italiens sont moins nombreux mais ils sont soutenus par les néo-zélandais venus en nombres. Les déguisements sont énormes, certains sont déguisés en supermario.
Jean-Luc, pris dans l’euphorie de la rencontre Franco-japonaise a laissé une partie de sa tête au campervan, arrivant devant les barrières, il s’aperçoit qu’il a oublié sa carte bleue qui est indispensable pour pouvoir retirer les places. D’une foulée légère et harmonieuse, il repart chercher sa créditcart au campervan. Après quelques minutes il nous revient radieux exhibant l’objet tant convoité dans sa main. Comme la veille nous prenons nos places sans aucun souci, nous avons même la possibilité de pouvoir prendre celles réservés pour les futurs matchs dans les autres stades. C’est ce que nous faisons, ce sera un tracas de moins. 
 Nos places dans les gradins sont situées au même endroit que la veille derrière les poteaux en plein air. Vu la pluie qui recommence à tomber, je me dis que cela ne laisse rien augurer de bon pour nous. La suite me donna raison.
Commençant à comprendre et à sentir la météo néo-zélandaise j’anticipe l’averse et je prends la décision de quitter les gradins pour aller me mettre à l’abri dans les coursives du stade avant le début de la rencontre. Bien m’en a pris puisque dans les secondes qui suivent un orage violent s’abat sur le stade. Déambulant dans les coursives, à l’abri, je trouve un marchand de ponchos et j’en achète quatre ne pouvant pas laisser mes camarades sous la pluie qui redoublait de violence à cet instant.  A mon retour je comprends qu’il est trop tard, ils sont humides mais qu’importe c’est le geste qui compte, le match peut commencer.
Nous assistons un très bon match des Australiens et à une bien piètre prestation des Italiens. Au final, les Australiens battent les Italiens 32 à 6 malgré des conditions atmosphériques hivernales, pluie, vent et terrain gras. Les Australiens ont étalé leur jeu de mouvement et plus particulièrement en seconde période autour du demi d'ouverture Quade Cooper. Les Wallabies furent souverains dès qu'ils décidèrent de donner de la vitesse à leur jeu. J’ai vraiment été surpris par cette équipe, qui devient ma favorite pour la suite du tournoi.
Les australiens sont impressionnants et révolutionnaires dans l’organisation collective. Les lignes arrière qui depuis cent cinquante ans jouent au rugby de façon académique avec deux ailiers deux centres et un arrière sans jamais ne rien changer dans l’organisation et le placement jouent cette fois-ci avec une stratégie et des placements différents à chaque séquence de jeu. Il se dit aussi que ce système est aménagé pour compenser les faiblesses défensives de Quade Cooper et lui permettre de jouer sa partition. Par exemple, sur les attaques adverses, il se positionne à l'arrière, en second rideau, loin de la ligne de front, où un ailier vient le remplacer.
Nous avons aussi constaté que de nombreux sifflets accompagnent Quade Cooper chaque fois qu’il touche un ballon, une agression sur Richie McCaw, l’emblématique capitaine des All-Blacks en serait la cause. Mais n’est-ce pas aussi une façon de lui reprocher de jouer avec l’ennemi ancestral australien alors qu’il est né et a vécu longtemps en Nouvelle-Zélande ?
Quant aux Italiens, faites bien attention si un jour vous mangez chez les Rabou à ne pas dire du mal des italiens car les grands-parents maternels d’Alain sont italiens. Sachant déjà cela, je prête un maillot italien à Alain pour qu’il puisse arborer dans les tribunes le maillot de son équipe favorite, mais cela ne fût pas suffisant.
Alain, tout le long de la partie nous  montre combien il est très sensible à ses origines. Non seulement il ne s’en cache pas, mais il met un point d’honneur à en informer les gens qui l’accompagnent y compris nos voisins de la travée. A la fin de la première mi-temps toute notre tribune est au courant et à la fin du match c’est la moitié du stade qui connait les origines d’Alain.




L’achat de poncho s’avère finalement utile même si ce fût un peu tard, car la pluie continue de tomber tout au long de la deuxième mi-temps et cela me permet de faire une petite sieste réparatrice en fin de match assis dans les travées sous les rires sarcastiques de mes compagnons. C’est certainement aussi ce jour-là que Thierry s’est enrhumé  propageant l’épidémie à l’ensemble des habitants de notre petite république.
Ce rhume endémique fut l’occasion pour lui  de se mettre à scier du bois toutes les nuits consciencieusement sans oublier le transport par la voie férrée. Au final entre la tronçonneuse et la locomotive il va devenir extrêmement bruyant provoquant de grosses colères de son compagnon de chambrée.

A la fin du match, vu le temps, nous décidons de reporter la visite et la soirée en ville comme nous l’avions  prévu pour filer plus au Nord et nous avancer sur l’itinéraire prévu. Nous roulons environs une heure sur la State highway 1 qui est la grande route nationale de l’île du nord en direction de Orewa, petite station balnéaire de la côte Est, c'est-à-dire sur la bordure du Pacifique, la porte du Northland.

 Pour cette première véritable étape, nous découvrons réellement la campagne néo-zélandaise. C’est proprement grandiose, le mot n’est pas trop fort. À chaque virage, c’est magique, magnifique et surtout incomparable au sens propre du terme puisque c’est du jamais vu. On passe du Pays basque au lac de la Raviège  en longeant la Louisiane tout en faisant un détour par la Martinique et la Côte d’Azur, tout cela au milieu de fougères géantes, uniques et caractéristiques de cinq à dix mètres de hauteur.  Décrire les paysages est très difficile, en Nouvelle-Zélande, ce qui frappe d'emblée, c’est le vert des paysages. Les Néo-Zélandais parlent d’un vert unique au monde, qui pourrait faire l’objet d’une nouvelle couleur. Dans le bush, la forêt native, ce vert se décline sur tous les tons. La végétation y est luxuriante et comprend beaucoup d’espèces à feuilles persistantes qui ne se rencontrent nulle part ailleurs sur la planète. Ailleurs, le déboisement a supprimé la forêt primaire pour y mettre à la place des pâturages. Il y a des vallons traversés par des clôtures avec à l’intérieur de gros troupeaux de vaches et de moutons et tous les kilomètres une rivière à traverser. Mais la magie s’opère véritablement dans ce bush, on observe des arbres qui diffèrent de notre déjà vu, point d’acacias ou de chêne, mais des espèces de yuccas faisant plus de 5 mètres de haut pour certains, des bananiers des fougères géantes des espèces d’eucalyptus ou des magnolias en fleur avec une multitude d’espèces inconnues pour nous européens. Le vert s'intensifie dans le sous-bois autour des buissons des Flax et des fougères. Le Flax est une sorte de lin qui buissonne un peu partout, il possède de longues feuilles triangulaires partant du sol avec de hautes tiges de fleurs orange ou rouge.  Les fougères, emblématiques du pays, sont le plus souvent arborescentes. Certaines atteignent plus de dix mètres de haut. On en rencontre de nombreuses espèces différentes, il est facile de comprend mieux pourquoi la Nouvelle-Zélande a choisi la fougère comme symbole. L’emblème des All Blacks étant la célèbre Silver fern.  La forêt dévoile des arbres immenses, biscornus et poilus avec des racines apparentes monstrueuses et des espèces de plantes grasses couvrant les pieds. Ces plantes nous rappellent celles en pot qui végètent depuis tant d’années dans notre salon. Ici, elle mesure cinq mètres de haut et est en fleur. J’ai vu un caoutchouc de plus de dix mètres de haut et de plus de trente mètres de diamètre, j’ai d’abord cru reconnaitre un platane, c’est dire. Il faut rajouter à cela les fleurs. Il y en a  de toutes les couleurs et de toutes les formes. Les prés sont couverts de callas. Le calla est dans les prés néo-zélandais ce qu’est la ronce chez nous, envahissante, poussant n’importe où. Dans des endroits plus entretenus on voit quelques orangers ou citronniers avec des fruits magnifiques et des arbres fruitiers en fleurs ou bourgeonnants. La flore néozélandaise est vraiment  magnifique. Vers dix-huit heures à la nuit tombante nous entrons dans la ville d’Orewa Beach à environ quarante-cinq kilomètres au nord d’Auckland.

Orewa est la porte de l’Hibiscus Coast,  Elle possède une immense plage dorée de plus de trois kilomètres de long. C’est un des paradis des surfeurs du monde entier. C’est aussi un lieu de villégiature prisé par les habitants d’Auckland l’été pour venir passer le week-end. La route longe la plage tout en la surplombant de deux à trois mètres. Sur un petit parking en front de mer du pacifique, nous sommes seuls, nous nous garons à quelques mètres de l’immense plage. Nous sommes un peu inquiets, car mis à part deux ou trois autres véhicules dont un autre campervan il n’y a personne. Nous cherchons en vain l’interdiction de stationner mais nous ne voyons rien, en cette saison cela semble possible puisque le parking est immense et que la place ne manque pas nous décidons d’y passer la nuit.
À proximité, l’unique bar du lieu nous ouvre ses portes, c’est le club-house du club local de surf. Planté sur pilotis dans sa partie Est, face à la mer, la partie Ouest est à hauteur du parking. C’est l'unique bâtiment en front de mer, nous franchissons les portes. Un immense écran de télévision retransmet le match Galles-Afrique du sud. Une ambiance bonne enfant règne à l’intérieur où quelques supporters gallois égarés attendant le début du match. Nous décidons d’y passer la soirée et de nous offrir notre premier repas au restaurant. La qualité du repas est toute simple et nous va bien. Une assiette carnivore variée où les frites abondent, le cholestérol est en fête. Si la bière a su épancher notre soif pendant l’apéritif, pour le repas nous commandons un vin rouge néo-zélandais cépage merlot à vingt-cinq dollars la bouteille. Les premières conclusions sont lapidaires. Les vins du libournais peuvent dormir tranquille même si les vins du nouveau monde sont à la mode.

Le match se termine par la victoire des books 17 à 16. L’Afrique du Sud, tenante du titre, a tremblé pour son entrée en compétition face au Pays de Galles et le XV du Poireau, enthousiasmant, menait dix à seize à quinze minutes de la fin. Les supporters gallois pleurent et épanchent leur tristesse et leur colère dans la bière. Nos organismes ne sont plus tous jeunes, nous ne sommes pas encore remis du Jet lag et nos corps crient assez, nous ne pouvons pas suivre. La bière, le vin et la fatigue ne font pas bon ménage, nous allons prendre l’air mais la pluie redouble nous abandonnons la partie et décidons d’aller nous coucher. Nous n'avons plus la force de regarder le match Irlande-Etas-Unis et la coinche est annulée, à vingt-deux heures nous dormons à poings fermés.



Lundi 12 septembre 2011
OREWA-RAWENE
                  Rawene et puis mourir
                                 Lundi matin comme tous les matins depuis deux jours, réveil en fanfare à sept heures, c’est encore les effets du Jet Lag qui viennent secouer nos rythmes biologiques. Le petit déjeuner est pris face à l’océan Pacifique en front de mer sur une table installée sur la plage. Thierry entame, déterminé, son premier footing d’une longue série programmée pendant qu’Alain et Jean-Luc, tel deux grands adolescents, jouent à se faire des passes avec un petit ballon de rugby. Le temps ce matin est clément, et le soleil est au rendez-vous pour nous faire apprécier cette magnifique plage de sable fin. J’ai pour ma part ramassé quelques coquillages échoués sur la plage qui ressemblent à des Clams
Le rythme commence à s’installer à bord du domicile ambulant. Le petit-déjeuner reste très classique et très frenchis, composé de pain, de confiture avec du beurre pour des tartines grillées avec un grille-pain à gaz qui se trouve dans le four. Nous buvons  du thé et du café et nous complétons par des fruits et des yaourts. C’est royal, sauf que ce matin-là…Nous trouvons les tartines de pain un peu particulières.
Chacun, à tour de rôle, après avoir mâché son morceau de pain, magnifiquement grillé et recouvert de beurre et de confiture, regarde sa tartine d’un œil circonspect : Elle est bizarre…il y a un goût indéfinissable que nous n’arrivons pas à déceler. Ce n’est pas le pain, car il est tendre, moelleux, ressemblant à notre bon pain français, donc très cher. C’est une miche payée cinq dollars néo-zélandais c'est-à-dire trois euros vingt. À moins que...Après lecture de la composition des ingrédients sur l’emballage papier, on lit : Garlic…Vite, le portable muni d’un traducteur anglais français va nous donner la réponse…
La réponse est : De l’ail !!!...du pain à l’ail !!!
 On a quand même déjeuné en se pinçant un peu le nez pour pouvoir avaler la chose. Un petit déjeuner au pain aillé et confituré dans le café c’est tout de suite plus exotique. À partir de ce jour-là, nous n’achetons plus le pain en confiance dans ce pays.
Il est neuf heures quand nous quittons Orewa-beach pour prendre la direction de la Kauri Coast, tout au Nord-Ouest de la région du Northland. Nous roulons une petite heure avant de nous arrêter dans la première ville traversée pour boire un café et faire quelques courses en prévision du déjeuner. Nous profitons de cette halte pour faire un premier petit coucou via internet dans un bar-restaurant. C’est notre première connexion Internet et à l’évidence nous avons du mal. Entre la clé USB à brancher, la capacité du blog à ingurgiter les photos en fonction du poids de celle-ci et le clavier qui est totalement différent nous y passons pas mal de temps pour un résultat médiocre. Nous avons tout de même pu mettre notre première photo via le blog.
Comme toutes les villes traversées depuis notre arrivée en Nouvelle-Zélande, la ville de Wellsford est décorée par une multitude de drapeaux et autres oriflammes aux couleurs de la coupe du monde, mais surtout aux couleurs All-Blacks. Le pays respire, transpire pour son équipe de rugby. Dans cette petite ville d’environ deux mille habitants, tout est décoré en l’honneur de la compétition qui se déroule, et les gamins de l’école ont peint sur la devanture d’un édifice municipal une grande fresque à la gloire de leur équipe nationale.
Nous déambulons sur l’unique rue principale tout en prenant le temps de découvrir  les dix commerces qui s’y trouvent. Un magasin d’alcool dénommé « Liquor store » fait notre bonheur avec nos premiers vrais achats de vins locaux. En Nouvelle-Zélande, l’alcool fort n’est vendu que dans ces magasins spécialisés. Dans les grandes surfaces nous ne trouvons que du vin de la bière et du cidre aucun autre alcool n’y est vendu.
L’étalage est impressionnant avec plus d’une centaine de variétés de vins exposées. C’est un magasin extrêmement achalandé pour une ville si petite. Il y a incontestablement un décalage pour nous français entre les choix proposés et le lieu.  Les Néo-Zélandais raffolent du vin, c’est une évidence, cette boisson est véritablement en passe de s’imposer comme la boisson nationale. Malgré tout, le vin reste cher en comparaison avec la France. Il n’y a pas de vin ordinaire. Le premier prix est à huit ou neuf dollars néo-zélandais c'est-à-dire cinq euros la bouteille. La gamme moyenne se situant aux alentours de douze dollars.
Les rayonnages sont différents de chez nous, il n’y a bien sûr aucun château mais les vins ne sont pas classifiés en fonction des régions mais en fonction des cépages. On a donc un mélange total des vins y compris des vins étrangers. C’est ainsi que nous trouvons de nombreux vins australiens. Les trois grands cépages rouges néozélandais sont le pinot noir qui correspond à notre bourgogne, le cabernet sauvignon correspondant à notre médoc et enfin le merlot rappelant notre saint-émilion. On trouve aussi deux grands cépages blancs le sauvignon et le chardonnay.  L’importance du vin est donc liée à son cépage et non au vigneron et à la région. Nous avons donc cinq rayons de vin pour une bonne centaine de variétés.
Après avoir choisi quatre bouteilles, chacun la sienne, nous achetons de magnifiques rumsteaks chez le boucher du coin. Dans toutes les villes y compris dans les petits villages nous trouvons des boucheries, comme jadis chez nous.  Ici, le boucher n’attire pas le chaland avec des artifices commerciaux mais avec la qualité et le prix. On hésite à entrer tellement la devanture ressemble à un magasin d’abattage. Tout au fond, on observe derrière la double porte grande ouverte trois employés découpant des pièces de bœuf ou de mouton. Dans le magasin, la viande est vendue en barquette, elles sont posées sans réellement êtres misent en valeur. Cela donne plus l’impression que c’est posé en fonction de la découpe qui est relativement grossière, les tranches sont épaisses et sanguinolentes. Les tranches font facilement quatre cents grammes, dans un coin des poches de sang sont à vendre. Les prix sont alléchants puisque le kilogramme tourne aux alentours de quinze à vingt dollars néo-zélandais soit dix à quinze euros que ce soit pour l’agneau comme pour le bœuf. Le porc est plus cher. C’est l’antithèse du monde aseptisé dans lequel nos bobos parisiens et autres technocrates bruxellois veulent que nous vivions, ici, pas de place pour les chasseurs de cholestérol. La viande est à l’honneur.
Les courses effectuées, nous reprenons une route sinueuse, traversant la Nouvelle-Zélande d’est en ouest pour découvrir enfin, la légendaire mer de Tasman à Dargaville. Nous comprenons rapidement que nous n’aurons pas beaucoup de mal à nous repérer. Il y a peu de routes et donc peu de carrefours, nous  trouvons pourtant le moyen de louper la seule bifurcation sur trente kilomètres que nous avons à prendre. À notre décharge, pendant de longues minutes nous précédons un bus qui nous colle dangereusement et qui accapare toute notre attention. C’est le bus officiel de l’équipe du Tonga, nous en avons oublié de tourner. Après un rapide demi-tour, nous retrouvons la bonne route. Ce petit détour nous permet de passer un petit col aux décors sauvages et absolument magnifiques nous donnant un avant-goût pour la suite du voyage.
 Progressivement, la route vallonnée et semi-montagneuse fait place à de grandes plaines où l’on remarque de grands hangars avec des publicités d’exploitations de patates douces. Nous entrons dans la capitale de la Kumara.
Dargaville est une ville d’environ cinq mille habitants, située sur la rive du fleuve Wairoa. La rivière est large et boueuse se terminant par un immense estuaire qui se jette dans l'Harbour Kaipara dans la mer de Tasman. Ville fondée au dix-neuvième  siècle, elle a prospéré grâce au bois et à la gomme de Kauri, cet arbre endémique que nous allons bientôt voir. La rivière servait à transporter les énormes billes de bois, coupées plus au nord de la péninsule. On a du mal à imaginer que cette paisible bourgade vivant aujourd’hui essentiellement de la patate douce ait pu être la plus grande ville de Nouvelle-Zélande.
Nous profitons de cette traversée pour nous arrêter dans une station et vider le campervan de ses eaux usées. C’est le nom usuel, car elles ne sont pas très usées….On économise beaucoup au détriment de notre hygiène intime et des odeurs. À ce rythme d’ici deux à trois jours aucune fille ne pourra entrer dans le campervan. Le temps change et une véritable pluie tropicale s’abat sur nous en quelques secondes le temps de vidanger le campervan.
Nous faisons  le plein d’eau, puis nous achetons quelques produits à la station-service, pour compléter le déjeuner,  Jean-Luc trouve quelques arachides en prévision de l’apéritif qui pointe le bout de son nez,  c’est aussi notre façon de le remercier pour avoir mis gratuitement à notre disposition le pump drump bien utile.
Nous continuons la route en longeant la Wairoa river tout en découvrant un nouveau paysage et de nouvelles variétés de plantes. Aux forêts de résineux aperçues sur les hauteurs de Dargaville succèdent des marigots et des marécages dans les méandres de la rivière.  Pour la première fois de ma vie je peux observer d’immenses marais à mangroves couverts de palétuviers. Pris par ce paysage subtropical, nous en oublions de déjeuner.
La faim nous rattrapant, nous trouvons une petite aire de stationnement en bordure de route. Nous faisons cuire nos steaks, à l’abri du vent dans les cuisines du Mitsubishi. Plusieurs salades variées accompagnent le plat. Le soleil a refait son apparition, le vin rajoute de la chaleur et l’euphorie nous gagne. Jean-Luc sort ses petites boules de son bagage, et la pétanque commence.
Ce qui importe le plus dans certaine situation, c'est de maîtriser l'euphorie a dit René Char, la phrase est de circonstance. Nous sommes à quelques kilomètres de la Waipoua Forest déclarée sanctuaire depuis 1952 afin d’arrêter les opérations de déforestation, c’est le plus grand vestige des forêts kauris du nord de la Nouvelle-Zélande. Ces arbres géants et mythiques et nous préférons jouer à la pétanque avec des boules de Geishas. Nous nous ressaisissons et reprenons la route en direction de la Waipoua Forest, que nous atteignons vers seize heures.
A faible allure sur une petite route sinueuse nous pénétrons dans le sanctuaire, la musique de Balbino Medellin nous accompagne, nous sommes subjugués par la beauté et la sérénité qui y règne. La forêt est impressionnante, primaire, endémique somptueuse, dense, impénétrable, luxuriante composée de fougères arborescentes géantes, d’arbres moussus constitués de lianes qui s'enroulent autour des branches voisines et créent des amas végétaux, la forêt devient sombre et les essences indistinctes. Nous découvrons des arbres comme il n'en existe qu'en Nouvelle-Zélande et comprenons toujours mieux pourquoi les néo-zélandais conservent précieusement leur nature et dépensent des millions de dollars chaque année pour la préserver Ce moment est gravé à jamais dans nos mémoires.

Nous allons voir le seigneur de la forêt, le Tane Mahuta du haut de ses cinquante-deux mètres et de ses quatorze mètres de circonférence laissant de côté le Te Matua Ngahere, le père de la forêt avec ses seize mètres de diamètre, mais beaucoup moins haut. Son âge est tout de même estimé à 2000 ans. On peut donc se dire qu’il a connu Jésus-Christ dans ses années de jeunesse. Le sentier qui nous amène au pied de l’arbre est formidablement bien entretenu et est suspendu sur pilotis pour certaines parties à un mètre du sol pour que les touristes n’abîment pas la forêt primaire avec les pieds.  C’est donc une véritable petite route piétonnière que nous suivons.
Le temps manque  pour mieux nous imprégner de cette forêt magique aux yeux des maoris. Nous avons bien cherché à prolonger ces instants extraordinaires en cherchant le camping situé en bordure de la Waipoua river, mais hélas ! Il est fermé en cette saison.
Reprenant la route après avoir longé la rivière qui est à l’image de la forêt : belle et sauvage nous rejoignons Omapere sur l’Hokianga Harbour.
L’Hokianga  est un estuaire de plus de trente kilomètres de long tranchant le Northland d'ouest en est. L’arrivée sur Omapere, le village qui est en bout d’estuaire, se fait par une route qui grimpe suffisamment pour donner un point de vue admirable permettant d’observer au loin sur notre gauche la mer de Tasman avec des vagues monstrueuses donnant l’impression de s’écraser sur une barrière invisible à l’entrée d’Hokianga. De l’autre côté du bras de mer, des dunes gigantesques nous font face, sur la droite on admire l’immense baie sauvage. Après la séance photographique, nous longeons la côte pendant une dizaine de kilomètres en laissant une minuscule station balnéaire Opononi, comme abandonnée en cette saison. Sur toute cette route, peu de maisons pas de ville, pas de restaurants, pas d’hôtels, la nature à l’état sauvage, on n’ose imaginer un lieu comme cela en France. Puis la route quitte la côte pour se perdre dans une campagne faite de pâturages et de bois de conifères. 
La lumière du jour commencent à faiblir nous décidons de rejoindre Rawene par une petite route nous ramenant au bord de l’eau sur Hokianga Harbour.  Ce village est un cul-de-sac. Il est le lieu de passage pour rejoindre Kohokohu sur la Rive-Nord par ferry pour éviter le contournement de Hokianga Harbour par la route, ce qui représente une économie de cinquante kilomètres environ pour ceux qui veulent aller tout au nord de la péninsule.
Rawene est une de ces délicieuses surprises qu’on a parfois la chance de trouver par hasard lors d’un voyage. Le paysage en approchant la ville est une succession de vallons entrecoupés par des bras de mer recouverts par les mangroves. Le temps s’est arrêté. Du haut d’une nouvelle colline, nous surplombons la ville pourvue de bâtiments historiques, impeccablement entretenus rappelant l'époque des premiers colons et d’un hôpital. Pour une ville de cinq cents âmes c'est pas mal, nous sommes ailleurs.
Nous trouvons un tout petit camping à la sortie du village où nous décidons de passer la nuit. Il domine la baie et la vue est splendide. La météo est associée au paysage. La fin du monde est proche, les rafales de vent succèdent à de violentes averses entrecoupées de gigantesques arcs en ciel, la mer de Tasman est déchainée et les couleurs crépusculaires nous hantent. 
La réalité moderne et européenne revient à nous par l’intermédiaire de Jean-Luc qui a enfin pu se connecter grâce à son portable et communiquer avec sa compagne restée loin de lui.  Ce besoin quasiment vital de donner des nouvelles à sa Mu trouve certainement son origine  dans les petits papiers laissés au hasard dans le sac des vêtements rangés dans les placards du camping-car.  De temps à autre, Jean-Luc sort un  petit papier minuscule, mais tellement gros à son cœur où est écrit tout simplement : « je t’aime » d’autres fois c’était gbm… Il nous donne la clé gbm veut tout simplement dire « gros bisou Muriel ». Je dois dire qu’il nous a foutu plus d’une fois le moral dans les chaussettes, on pense même que d’autres papiers existent et qu’il nous les cache, alors quand il s’absente du campervan, tel des ethnologues, on cherche, mais en vain. Thierry  croit savoir qu’il les mange le mystère reste entier.
Dans chaque camping en Nouvelle-Zélande, l’effort est mis pour que des lieux communs existent et permettent de faire des rencontres, c'est ainsi dans ce tout petit camping, nous trouvons une petite cuisine collective avec deux éviers et deux gazinières. Deux tables sont disposées au centre de la pièce etpouvent accueillir une dizaine de personnes. Nous décidons de dîner ce soir dans ce lieu convivial où deux jeunes Français sont déjà installés.
Avant cela une petite partie de dés est improvisée et sert de support à l’apéritif.  Pour corser la partie quelques gages sont proposés. Après avoir désigné le classique : qui fera la vaisselle et qui fera le repas nous améliorons la partie avec comme nouveau gage l’obligation de boire cul sec les mixtures lyophilisées offertes par nos japonais. Chacun à l’exception de Jean-Luc déguste ce breuvage et est pris de spasmes et de grimaces faciales inquiétantes. Certes, Les habitudes culinaires peuvent être différentes, mais comment peuvent-ils boire cela !!!
Nous quittons provisoirement notre refuge pour aller dîner dans les cuisines du campin. Des pâtes sauce bolognaise sont au programme.
Alain fait le tour des installations et se fait rapidement un copain en la présence de Fernand venu de Toulouse passer quinze jours avec sa fille pour voir la coupe du monde de rugby. Cette rencontre singulière interpelle Alain qui  se met à rêver, ses yeux pétillent, car pour Alain une coupe du monde avec sa fille pendant quinze jours c’est la garantie de se faire les trois prochaines coupes du monde, lui permettant d’arriver à soixante ans paisiblement.
Quand il dit à Fernand : « C’est beau ça de faire la coupe du monde avec sa fille moi qui en ai trois… » Celui-ci lui répond qu’en fait ce voyage était prévu avec sa femme, mais qu’elle est décédée entre temps et que c’est donc sa fille qui l’a remplacé pour l’aider à retrouver un petit peu le moral. A cet instant, tout le monde se regarde, baisse les yeux et un grand silence pesant envahit la salle commune.
On parle, on sympathise, on échange, on fraternise, nous nous racontons nos vies, sans complexe et sans retenue, l’ambiance s'y prête. Il règne une atmosphère particulière, nous sommes huit Français perdus à l’autre bout du monde, la solidarité prend tout son sens. C’est la magie du voyage qui opère et qui nous libère de nos habitus sociaux faits de rigidités sociales et géographiques, nous permettant d'échanger sur des choses banales capables de transformer des moments de vie insipides en morceaux de bravoures. Alain fraternise même avec le toulousain, le vin blanc est un allié précieux dans ces moments là.
Thierry après avoir évacué le trop-plein des repas antérieurs et pris une douche réparatrice, commence à s’enrhumer sérieusement et a triste mine. Il a le moral en berne, heureusement son pari gagné et terriblement humiliant à l’encontre d’Alain nous le revigore. Depuis deux jours ceux-ci s’engueulent sur la composition de l’équipe du CO victorieuse de Grenoble en 1993 lors de la finale du championnat de France. Carminati jouait-il ?
Deux jeunes passionnés de rugby présents sur le camping et en campervan comme nous possèdent le fameux et indispensable outil moderne qu’est l’iPhone. Nous leur demandons donc de regarder la composition de l’équipe du CO de 93…..Thierry a gagné. Carminati a bien joué la finale. Alain est désespéré, « mais comment j’ai pu me tromper…. Je suis une sous-merde…etc…» Il lui faut beaucoup de temps pour admettre la vérité, allant même mettre en doute la véracité de la page google. Il n’est pas infaillible et peut se tromper en parlant du CO, comme quoi ! La sanction est sévère, il lui faut boire cul sec la fameuse boisson japonaise. Cela ne se raconte pas.

La désormais coinche quotidienne voit la victoire d’Alain et Thierry sur Jean-Luc et moi. Cette victoire est ternie par le manque d’éthique manifeste d’Alain. Jean-Luc a annoncé quatre-vingts dix  à pique je le suis à cent puis je relance cent vingt mais je dis cent vingt à cœur, pourquoi à cœur ? En tout cas Alain ne veut rien entendre, pique n’est pas cœur, cœur c’est cœur, vocifère-t-il,  que répondre à cette pitoyable rhétorique sophistique, il ne veut rien entendre.
      Ils ont coinché et nous avons perdu.
Bonne nuit



Mardi 13 septembre 2011
             RAWENE-KOWHAREWA BAY
Bay of islands
                      La journée commence sous la pluie, mais en Nouvelle-Zélande ce n’est pas un souci. Au bout d’un certain temps on s’habitue. Il pleut dix minutes, le vent se lève, l’arc en ciel apparaît et le soleil illumine le paysage. C’est ainsi ça fait partie du décor même si pour être tout à fait honnête, les dix minutes durent souvent une heure et reviennent régulièrement tout au long de la journée.
Notre périple dans le Northland s’arrête à Rawene pour ce qui est de la progression vers le Nord. Nous allons donc retraverser l’île mais cette fois d'Ouest en Est et donc  revenir sur la côte pacifique. Nous laissons le mythique cap Reinga qui est la pointe nord de l’île du nord de la Nouvelle-Zélande situé à plus de cent vingt kilomètres de Rawene. La route menant au cap est une piste aménagée sur une plage qu’il faut emprunter à marée basse. C’est interdit pour les campervans de location.
Selon la mythologie maorie, les âmes des morts voyagent au cap Reinga pour aller dans  l'au-delà vers l’île mythique d’Hawaiki. Ils quittent l'île du Nord en sautant d'un arbre, le Pohutukawa âgé de huit cents ans. Hawaiki étant l’île où les peuples polynésiens situent leurs origines. Pour une fois, ça nous change du paradis et de l’enfer et c’est bien plus joli. Il nous faudra donc revenir un jour en Nouvelle-Zélande pour voir ce lieu.
Nous traversons Rawene une dernière fois et faisons le plein d’essence dans une station pleine de charme à proximité de l’embarcadère emportant les voitures vers Hawaiki. Nous continuons la route traversant un  village très dynamique et semble-t-il très commerçant : Kaikohe. C’est la ville principale au nord du Northland. Tout est relatif puisque d’après notre guide la population y avoisine les quatre mille âmes, c’est-à-dire exactement le même nombre que la barre d’immeuble de La Courneuve en région parisienne. Ici, c’est la ville principale du nord du Northland, voilà pour la comparaison.
Nous remarquons aussi que la population maorie y est très présente. La ville comme toutes celles que l’on croise est donc constituée d’une rue principale, faite de commerces divers et variés. Beaucoup de magasins ressemblent à s’y méprendre à nos bazars modernes où l’on trouve nombre d’objets fabriqués en chine, accessoires de jardin, jouets d’enfants, bricolage, décoration, ameublement, vaisselle en plastique, vêtements, etc. Des antiquaires, des épiceries, des boucheries, des boulangeries des magasins photographiques surannés ainsi que des bars et des restaurants viennent compléter le tableau. Nous voyons peu de banques, peu de magasins de téléphonie aucune parfumerie et aucun magasin de mode vestimentaire, cela rappelle nos villages ruraux français des années soixante même si l’architecture urbaine nous plonge paradoxalement dans l’Amérique des pionniers. Le centre-ville n’est autre que le  fameux CBD (Central Business District) si cher au commerce et dénué d’histoire.
Nous achetons dans un des nombreux bazars de la ville, comme tout bon supporter qui se respecte, des drapeaux pour parfaire la décoration de notre campervan et montrer que nous sommes les fiers Gaulois qui viennent défier les Blacks sur leurs terres. Deux dames maories nous accostent entre les rayons et très gentiment nous parlent de leur région insistant sur la culture néo-zélandaise et leur pays. Elles sont très marquées physiquement et insistent pour que nous allions voir des ruines ? Des vestiges ? Pas loin de Kaikohe. Cela parait important culturellement. L’histoire maorie est très présente dans cette région, le grand chef de guerre, Hongi Hika est originaire de Kaikohe et sa sépulture est toute proche. Est-ce de cela qu’elles parlent ? Le timing est serré, il n’est pas possible de prendre du  temps au temps imparti pour aujourd’hui, nous déclinons la proposition et quittons le magasin avec nos drapeaux blacks et français en poche. Cette rencontre après trois jours déjà passés en Nouvelle-Zélande, accrédite l’impression que la population maorie est socialement la basse classe néo-zélandaise. L’historiographie libérale développant l’idée que la Nouvelle-Zélande puisse être une société sans classe, classless society a du effacer dans ses analyses  certains groupes ethniques. Tout système économique capitaliste a besoin d’un lumpenprolétariat pour exister, ici aussi. Nous retrouvons les maoris principalement aux bords des routes, sur les chantiers et derrière les bennes d’ordures même si effectivement nous ne percevons pas l’étalage luxueux magnifiant le nouveau riche de nos vieilles sociétés occidentales. Les codes de conduite sociaux propres au monde rural n’y sont certainement pas pour rien. Comme disait F Raynaud  L’élevage ça eut payé… 
Flânant sur l’avenue principale nous nous  arrêtons quelques instants dans un magasin de photographies tout à l’honneur des All-Blacks. Jean-Luc repart avec une magnifique photo de G Whetton, ancien capitaine des Blacks, mais surtout capitaine emblématique du Castres Olympique lors du sacre de quatre-vingt-treize.
 Thierry, toujours en manque, nous redemande d’acheter de la viande à la boucherie locale. Le steak doit peser au minimum quatre cents grammes et faire trois centimètres d’épaisseur. Ce n’est pas le pays des végétariens, c’est indéniable. Les prix sont toujours de l’ordre de dix à quinze dollars le kilo contrairement au poisson beaucoup plus cher. Est-il besoin de rajouter qu’ici aussi la ville est décorée aux couleurs de la coupe du monde.
Nous reprenons notre campervan pour arriver en cette fin de matinée sur la Bay of Islands par un soleil magnifique. La petite ville de Paihia nous ouvre ses portes ou plutôt sa belle plage avec au loin des myriades d’îles dans une baie féérique, c’est proprement somptueux. Cette petite ville est une station balnéaire comme il en existe des dizaines en Nouvelle-Zélande. Elle ressemble à nos petites stations balnéaires d’il y a cinquante ans. Une rue principale longeant la baie et une petite rue perpendiculaire d'où une vingtaine de magasins attendent les improbables touristes en cette période.
La coupe du monde amène bien quelques touristes, mais nous sommes bien trop loin des lieux où se jouent les matchs importants. Une petite dizaine de campervans sont là malgré tout.
La coupe du monde reste tout de même présente, la ville est toute décorée de rouge puisque la petite ville voisine de la baie des iles Kerikeri accueille l’équipe du Tonga. Cette poule, outre le Tonga a comme équipe présente le Canada et le Japon. Ces trois pays ont comme couleur principale sur leur maillot le rouge, c’est donc le petit coup d’œil de la ville à sa coupe du monde.
Nous mangeons dans une cafeteria italienne et découvrons les pizzas italiano-zélandaises. Quarante centimètres de diamètres avec beaucoup de crème fraiche. La patronne, pas trop au point au niveau du service, casse un verre qui entaille le bras de Thierry qui lui vaut de saigner abondamment et de tacher son pantalon distinctement. Comme tous les habitants de ce pays, elle nous parle longuement des matchs de 1999 et 2007 qui ont vu la France battre les Blacks par deux fois en coupe du monde, nous expliquant combien cela a été douloureux pour tout un peuple qui ne fait qu’un derrière son équipe nationale.
Le repas est terminé nous allons flâner sur les bords de la Bay of Islands admirant ces paysages sortis de cartes postales. Nous profitons de cette promenade pour acheter nos premiers souvenirs (des tee-shirts) dans un des rares magasins ouverts.
L’Après-midi offrant  un peu de soleil, nous décidons d’aller voir dans la ville adjacente le musée national de Watangai. Ce musée est très important aux yeux des Néo-Zélandais et plus particulièrement des maoris, car il retrace l’histoire du pays mais surtout la réconciliation des peuples maoris et anglais. C’est ici qu’ont été signés les accords permettant d’arrêter les hostilités entre les deux communautés et de faire la paix. La Nouvelle-Zélande est née ce jour-là. C’est le traité de Waitangi.
Nous trouvons la visite un peu chère, à vingt-huit dollars par personne mais elle s’avère malgré tout très intéressante. La promenade alterne entre la culture maorie et les marques historiques comme une pirogue taillée dans un arbre Kauri qui doit faire quarante mètres de long et qui est posée sous un hangar décoré magnifiquement et qui a servi le jour de la signature du traité à amener le chef maori Hone Heke. Ces grandes pirogues peuvent embarquer jusqu’à une cinquantaine de personnes à bord et sont les derniers vestiges de ses embarcations historiques maoris. Pour les cinéphiles, c’est la grande embarcation d’où est jeté par-dessus bord le piano à la fin du film « la leçon de piano ».
Nous visitons sur les hauteurs de la falaise un Marae, sorte de mairie maorie, où la communauté se retrouve. A quelques dizaines de mètres, dominant la baie du haut d’une autre colline se trouve la maison où a été signé le fameux traité, nous admirons le paysage et les lieux qui sont  magnifiques. Des centaines d’oiseaux nichent et chantent  dans les parages, c’est le printemps. De petits oiseaux de type moineau avec une grande queue qui s’ouvre comme un éventail viennent se poser à quelques mètres de nous et font les beaux en prévision d’une  rencontre amoureuse.
Après cette petite escapade bucolique, nous reprenons le campervan pour rouler un peu en direction du sud toujours sur la côte pacifique dans l’espoir de trouver un petit endroit sympathique pour passer la nuit et nous rapprocher de Whangarai destination future.
Nous reprenons la SH1 que nous avions quitté deux jours plus tôt dans l’autre sens deux cents kilomètres plus au sud. Au niveau de la ville de Whakapara nous bifurquons sur l’est pour véritablement longer la côte et trouver une petite crique du côté de Tutukaka. Pour autant, les choix routiers restent limités, puisqu’il n’y a que deux routes dans ce secteur qui nous amènent à Whangarai la capitale du Northland.
Après avoir longé la côte sur plusieurs dizaines de kilomètres nous arrivons à Tutukaka. Ce petit port se trouve dans une magnifique baie, perdue au milieu de nulle part, loin de tout. La marina est imposante, nichée dans une grande crique, elle est  saturée d’immenses yachts et de magnifiques voiliers. On se demande où sont les propriétaires, où habitent-ils ? La marina est minuscule mais est dotée d’un très bel hôtel cinq étoiles qui donne sur l’entrée du port, l’atmosphère du lieu transpire l’argent. C’est indéniablement un lieu de villégiature pour les riches Néo-Zélandais. Ce n’est pas pour nous, nous continuons.
A la sortie du port, nous empruntons une petite route, la Tutukaka block road, qui semble suivre la sinueuse côte pacifique. Les panneaux indiquent plusieurs villages dont les noms se terminent tous par Bay, nous en concluons que c’est la direction des plages. 
La route, une fois de plus, est magnifique. Elle longe bien la côte, déchirée, faite de criques et de petites plages de sable blanc. Au grès des virages, elle grimpe de quelques mètres pour mieux nous dévoiler la beauté du paysage avant de redescendre sur une petite plage. Nous nous croyons sur la Côte d’Azur sauf qu’ici il n’y a pas un restaurant ni un hôtel et que les quelques villas que nous voyons sont pour la plupart dans le pur style néozélandais faites de planches posées sur pilotis avec des couleurs au ton pastel.
La flore même si elle n’est pas encore totalement en fleur est composée de l’inévitable fougère arborescente accompagnée d’espèces endémiques telles que les Manuka appelé aussi arbre à Thé, l’olearia aussi large que haut, les  palmiers, les cabbage tree que j’appelle communément yuccas gigantesques ainsi que le Pohutukawa, qu’on appelle aussi « Christmas Tree » et qui est l’arbre sacré des maoris. C’est un arbre tortueux, qui peut atteindre vingt mètres de haut et de diamètre qui commence à être recouvert de grosses boules de fleurs rouge vif. Le spectacle est d’autant plus beau que les Pohutukawas sont des arbres côtiers qui poussent souvent à même la plage.
Le petit coin sympathique qui va s’offrir à nous quelques kilomètres plus loin est planté dans un décor de rêve. Parler de décor de rêve ou de décor de carte postale en employant à chaque page l’adjectif somptueux ou magnifique est redondant, mais comment faire autrement ?
 Ce décor de rêve, paradisiaque a un nom : Kowharewa bay.
Nous stoppons notre campervan à deux mètres de la plage sur une petite prairie en bordure de la baie. Une table en bois, un barbecue et des toilettes en dur nous attendent. Nous nous sommes garés sur un petit estuaire puisque face à nous, une petite rivière se jete dans la baie. Nous décidons de nous installer pour la nuit, les yeux émerveillés par ce paysage.
Après une petite promenade sur la plage, nous allumons péniblement un feu, car le bois est très humide, pour faire cuire les côtes d’agneau achetées le matin.
Même les BBQ sont différents, en lieu et place de nos grilles habituelles, leur BBQ est en fait une grande plaque d’acier sous laquelle un foyer est prévu pour chauffer ladite plaque. Du coup le BBQ se transforme en plancha permettant de faire cuire des produits différents.
Dans la nuit noire, sous le ciel étoilé de l’hémisphère sud et grâce à nos frontales qui s’avèrent utiles dans ces moments-là, Jean-Luc nous sert l’apéritif qui voit l’agonie de l’unique bouteille de Ricard achetée trois jours plus tôt avec les immuables cacahuètes. Puis Thierry et Alain, nous régalent avec les côtes d'agneaux, nous terminons le repas par un fromage dégueulasse avant que le froid ne nous fasse rentrer dans notre campervan. Pour la première fois, l’équipe Icher-Rabou affronte l’équipe Cals-Fournier. L’équipe Cals-Fournier remporte brillamment cette partie de coinche. Le duel entre ces deux équipes va devenir un grand classique des futures soirées néozélandaises. Nous nous couchons fatigués, mais je crois que nos yeux ont aussi besoin de se fermer pour mieux revivre cette magnifique journée.
A vingt-deux heures, tel des enfants, heureux nous rejoignons morphée. 


Mercredi 14 septembre 2011
KOWHAREWA-WHANGAREI
         La côte pacifique


                      Aujourd’hui nous partons pour Whangarei où nous devons assister le soir même à Tonga-Canada. Dès potron-minet, Jet-lag oblige, nous vagabondons sur la plage contemplant pour la dernière fois ce petit coin de paradis terrestre.

 L’organisation matinale commence à être bien rôdée, Jean-Luc plie son lit, le transformant en table de cuisine pour nous permettre de déjeuner pendant que Thierry et moi-même préparons le petit déjeuner,  Alain range et ordonne. Ce matin, le beau temps est au rendez-vous réchauffant suffisamment l’atmosphère pour nous permettre de profiter du paysage en déjeunant à l’extérieur, face à l’océan Pacifique, sur une table prévue à cet effet.
Le pain est délicieux, nous prenons le temps, jouant avec les nombreux volatiles présents qui piaffent d’impatience à l’idée de se sustenter de nos miettes abandonnées. Alain se découvre une passion pour des  espèces d’anatidés et de laridés  magnifiques. Les mouettes sont des scopulines, espèces endémiques de Nouvelle-Zélande. Leur bec et leurs pattes sont d’un rouge vif éclatant alors que le corps est d’un blanc soutenu, leur cri reste  aussi insupportable  que chez nous. Fidèle à son esprit de compétition, Alain ne peut s’empêcher d’alimenter l’animosité ancestrale liant les deux espèces en distribuant la nourriture de façon à ce que l’esprit querelleur de la mouette oblige nos pauvres canards à se replier sur les hauteurs de la plage.
 Déjeuner dans ces conditions vous réconcilie avec la nature et la vie. Je crois que ce matin-là nous étions tout simplement heureux. Tout était beau.  

Le départ est nettement plus laborieux. Nous quittons notre petit coin de Paradis en  ayant oublié que la veille, nous avions tourné sur la petite route des Bays, au bout de quelques kilomètres la route s’avère être un cul-de-sac, mais quel cul-de-sac 
Tout au long de ces  cinq à six kilomètres nous logeons l’océan pacifique alternant  des petites criques rocailleuses et des petites plages de sable blanc tout en traversant de nombreux petits hameaux. La route épouse la côte et le relief, à chaque virage, nous sommes subjugués par les paysages féériques que nous voyons. Toutes les minutes, nous cherchons un lieu de stationnement. Nous voulons emmagasiner le plus grand nombre de photos pour  conserver le souvenir de cette route et de cette région le plus longtemps possible. À ces paysages adorables il faut rajouter la palette des couleurs des premières fleurs du printemps qui font de cette petite route un paysage magnifique reléguant la Côte d’Azur au niveau de la Redoute plage.
 Finalement, nous retrouvons la bonne route arrivant sur les bords de la Hatea river à proximité de Whangarei aux alentours de dix heures.
Les Falls de Whangarei sont nos premières Falls néo-zélandaises, autrement dit, ce sont nos premières  grandes chutes d’eau comme il en existe beaucoup dans ce pays. Il faut savoir que la Nouvelle-Zélande de par son positionnement géographique sur la ceinture de feu, à la frontière des plaques tectoniques enregistre des centaines de secousses sismiques par an. La nature est fracturée et des failles apparaissent ici ou là, quand une rivière y coule, la faille laisse place à une chute d’eau.
Comme tout ce que nous avons pu voir jusqu’à présent, c’est très beau, très spectaculaire et parfaitement aménagé. Il y a très peu de monde seuls quelques touristes, comme nous en campervan, effectuent la ballade permettant d’accéder  et d’admirer les chutes vues d’en haut, puis, après avoir enjambé la Hatea river par une passerelle, nous descendons à travers la forêt pour la contempler à nouveau mais à ses pieds, soit vingt-six mètres plus bas.
Nous retrouvons les deux jeunes rugbymans avec qui nous avons échangé deux jours plus tôt à Rawene. Comme quoi notre périple n’a rien d’original et suit les guides touristiques. Pour une fois, toute cette balade est gratuite, malgré les aménagements nombreux et surveillés de très près par de nombreuses caméras. Les kiwis comme les Anglais nous surveillent tout le temps. Big brother is waching you.
Nous quittons le lieu après avoir salué des touristes ibériques  et arrivons au Top 10 Holiday Park de Whangarei vers onze heures sans encombre. Nous commençons à bien maitriser les cartes, les itinéraires et les panneaux néo-zélandais. Ce beau camping situé en proximité immédiate de la ville nous permet de laisser le campervan sur le site et de pouvoir ainsi visiter la ville et aller au match à pied.

La ville de Whangarei est la capitale du Northland, sa population est approximativement de cinquante mille habitants en comptant l’ensemble des petites villes faisant partie du district, cela nous permet de mieux apprécier l’importance des villes en Nouvelle-Zélande.
 Nous prenons possession de notre emplacement sous des trombes d’eau, mais dans la minute qui suit un magnifique beau temps permet à Thierry de faire sa première lessive pendant que Jean-Luc et moi-même essayons de mettre quelques photos sur le blog « Quatre Occitans à Auckland ». Les connexions à internet, l’achat des recharges à quinze dollars les trois heures, tout cela commence à nous « prendre un peu la tête ». Ce n’est pas simple de communiquer à vingt mille kilomètres de distance.
Vers douze heures trente nous décidons de partir à pied flâner dans le centre-ville et y déjeuner. Nous irons ensuite directement au match. Programmé à dix-huit heures. Après avoir traversé un joli quartier peuplé de maisons individuelles ayant chacune leur oranger ou mandarinier planté dans leur jardin, nous longeons la rivière Hatea dans un parc aménagé aux portes de la ville.
La promenade est magnifique, la forêt nous envoute littéralement quand on y pénètre. La flore endémique couplée aux chants des oiseaux nous emportent dans l’émerveillement. Nous sommes sous le charme de la nature néo-zélandaise, les fougères sont immenses. Après une grosse demi-heure de marche nous sortons du bush pour arriver dans le centre-ville à proximité du port.
Comme nous l’avons déjà dit, les villes néozélandaises ressemblent à des villes américaines. Pas de centre véritable comme chez nous en France, les rues quadrillent la ville de façon perpendiculaire et les villas sont alignées les unes aux autres. Les maisons pour la plupart sont sans étage, en bois avec des toits en tôle ondulée. Le centre-ville est donc relativement restreint, puisqu’il se résume à deux ou trois rues principales d’environ deux cents mètres chacune et de trois ou quatre rues perpendiculaires piétonnes pour la plupart.
Notre arrivée dans le centre de Whangarei sera à jamais marquée par une rencontre pour le moins cocasse. Déambulant dans les rues, nous croisons quelques supporters canadiens et quelques connaisseurs rugbystiques néo-zélandais qui ne sont pas tendres avec leur équipe nationale. L’ambiance est joyeuse et festive, tout le monde, incontestablement se prépare à se rendre au match qui aura lieu en fin de journée. La ville est couverte de grandes oriflammes aux couleurs de la coupe du monde et des équipes qui doivent s’affronter dans la soirée. Soudain, face à nous mais de l’autre côté de la rue, nous apercevons une personne enlaçant un panneau de signalisation routière, un mégot à la bouche, encapuchonné visiblement cuit. Bien évidemment, quelques petites moqueries de circonstance fusent ici ou là. Le feu passant au rouge, nous traversons et arrivant à son niveau, dans un français parfait, il nous dévisage et nous dit : « vous êtes d’où ? » C’est un français !
Nous déclinons notre identité rugbystique à notre interlocuteur qui nous remercie et qui nous annonce fièrement  qu’il est du comité Armagnac-Bigorre et qu’il est là en qualité de superviseur du corps arbitral de la rencontre qui aura lieu dans moins de cinq heures.
À cet instant précis, nous venons d’éclaircir un des mystères des plus obscurs et des plus inextricables débattus par les exégètes du monde de l’ovalie glosant à l’infini sur l’interprétation arbitrale de certaines phases de jeux et concluant systématiquement ces querelles d’emmerdeurs par: comment se fait-il que les arbitres soient si nuls ?
La réponse est là, face à nous, vautré dans sa binasse, ce pochtron égaré à l’autre bout du monde n’est autre qu’un superviseur arbitral international. Il a vocation dans quelques heures à noter les arbitres de la rencontre. Nous avons la réponse.
Après ce moment à haute teneur dramatique, nous  rencontrons Bruno, solitaire toulonnais, égaré dans les rues qui vient passer quinze jours en Nouvelle-Zélande pour voir la coupe du monde. Il va, en quinze jours, voir sept matchs du tournoi. Très sympathique, originaire de Villeneuve-sur-Lot il joue l’incruste et se propose de partager le repas avec nous. Qu’importe, c’est avec plaisir que nous l’invitons en terrasse à partager le repas qui nous permet de gouter enfin les green mussels, les fameuses moules vertes néo-zélandaises.
La moule espagnole fait pâle figure à côté, elle est deux fois plus grosse, mais est différente en consistance et en goût on est beaucoup plus prêts du coquillage.
Bruno est un vrai afficionados rugbystique et très présent dans la discussion, ce qui faut bien avouer est un petit exploit. Il nous donne l’information du jour dans le monde de l’ovalie : le recrutement de Bernard Laporte comme entraineur au Racing Club Toulonnais. Pauvres toulonnais, comment les anciens, ceux qui respirent le rugby, ceux qui ont fait du RCT ce club de légende, de corsaires, vont-ils accepter de voir l'ancien ministre de Sarkozy commander un groupe de mercenaires. Décidément notre rugby fou le camp, les millionnaires investissent notre jardin et vont nous le bousiller.
Bruno nous est aussi très précieux puisqu’il vient à notre rescousse en nous aidant à comprendre nos déboires avec le téléphone acheté quelques jours plus tôt et pour lequel nous n’avons plus de communication alors que nous avions acheté soit disant vingt heures de communication. Dans un magasin Vodafone, dans un anglais nettement supérieur au nôtre, il perce l’autre mystère, celui de l’abonnement. Désormais quand on appelle la France la communication doit durer une heure puisqu’en fait nos vingt dollars de communication ne correspondent pas à vingt heures comme nous l’avons cru. Cela correspond à dix communications qui peuvent durer une heure chacune, donc qu’on appelle une minute ou une heure c’est pareil, cela vaut deux dollars. Le mystère éclairé, nous rechargeons le téléphone et quittons le centre-ville pour nous diriger vers le stade.
L’heure du match approche, nous rejoignons un public bigarré et joyeux qui se dirige vers le Northland Events Centre, le stade de Whangarei,  qui est totalement rénové à l’occasion de cette coupe du monde.
Le rouge est la couleur du jour. Des couleurs canadiennes ou  tongiennes à la ligne rouge tracée au sol nous indiquant la direction à suivre  pour nous rendre au stade jusqu’au ciel parré d’un rouge, crépusculaire annonçant un match terrible entre les Canucks canadiens et les découpeurs tongiens mais annonçant aussi l’orage.
Arrivés devant le stade, nous sommes une fois de plus étonnés de voir avec quelle facilité nous rentrons dans l’enceinte et comment le service d’ordre est accueillant et souriant. Nous quittons définitivement Bruno qui a une place en tribune, nous avons des populaires et nous sommes face à la grande tribune.
Le stade est magnifique et beaucoup plus conforme à l’imaginaire collectif des passionnés de rugby que nous sommes. Il est exactement comme nous nous sommes imaginés les stades de l’hémisphère sud.
Face à nous, une grande et belle tribune flambant neuve pouvant accueillir cinq à six mille spectateurs. De notre côté, une petite tribune accueillant la presse et la table de marque. Pour le reste, c’est une immense cuvette faite d’une pelouse en pente relativement forte pouvant accueillir plus de dix mille personnes.  Aucune place réservée,  les gens s’assoient à même le sol où ils veulent. Sur les hauteurs et dans les virages, de nombreux marchands ambulants vendent bières et Donuts. Tout en haut de la butte une rangée d’une cinquantaine de latrines mobiles vient compléter le tableau et rendre de fiers services à tous les buveurs de bière présents.
Nous nous installons sur les hauteurs du stade, Alain et moi profitons de l’attente du coup d’envoi pour faire une belle sieste sur la tendre verte et grasse pelouse néo-zélandaise. Totalement immergés dans l’ambiance bon enfant qui règne, nous observerons nos voisins, admiratifs devant les quantités de bière ingurgitées.
Devant nous un papa kiwi, aux origines maories indéniables, est venu avec ses deux enfants assister au match. Il a posé une grande couverture sur la pelouse et attend, comme nous,  le début de la rencontre. Ils sont étendus et le papa tendrement enlace dans ses bras ses enfants. L’émotion nous gagne quand nous constatons qu’avant même le coup d’envoi neuf cadavres de canettes de bière sont écrasés à ses pieds. Pendant la première période il fléchira quelque peu le rythme et à la mi-temps il est à douze unités soit six litres de bière. Nous l’avons imaginé paysan à ses mains et à sa tenue estivale avec encore aux pieds les bottes en caoutchouc. Quoi qu’il en soit, cette capacité à ingurgiter autant de bières avec absolument aucun stigmate décris dans les manuels d’alcoolisme nous a impressionnés.
Nos voisins de gauche sont des Tongiens. Physiquement bâtis sur un même calibrage qu’ils soient du genre féminin ou masculin. C’est du bonheur que de se sentir tout frêle à côté d’eux. Ils pèsent, à minima, cent-vingt kilos, certains dépassant les cent cinquante et ne mesurant qu’un mètre soixante-dix environs, buvant comme des trous, mais n’ayant visiblement pas la même capacité à tenir l’alcool, ils sont ivres et certains totalement cuits. Un jeune Tongien titubant tombe sur son amie assise à ses côtés. Il subit dans l’instant ses réprimandes et reçoit un coup de poing dans le haut du dos près de l’épaule. Ce coup de massue aurait démis l’épaule à n’importe quel européen normalement constitué, là, ce fut un grand sourire de compassion, voire amoureux.
Nous avons froid, nous avons mis deux sweats ainsi que le blouson et la capuche, ils sont tous en tee-shirt. C’est vraiment énervant.
À la mi-temps, nous changeons de place pour nous mettre devant la petite tribune, nous permettant de mieux voir le match et de nous abriter du vent et du froid, mais aussi de la pluie qui commence à tomber.
Nos nouveaux voisins Tongiens semblent être des clones de ceux vus en première mi-temps. Beaucoup d’alcool dans le sang, peu d’intérêt pour le match et un gabarit similaire aux autres.
 Partout dans ce stade, les supporters de l’équipe du Tonga semblent boire pour boire dans une espèce de beuverie collective avec un regard dénué d’intérêt pour le match. La preuve en est que contrairement à tous les pronostics leur équipe est à cet instant sérieusement malmenée par les hommes de J Cudmore et ils s’en foutent royalement. Plus je les observe et plus je suis amené à élaborer une réflexion ethnologique concernant ce peuple polynésien vivant dans un royaume perdu quelque part sur de petites îles du pacifique sud au nord de la Nouvelle-Zélande et dont le nombre total d’habitants  est estimé à cent mille. Mon hypothèse est que la collision brutale entre leur civilisation ancestrale et la civilisation numérique dite moderne fait passer les Tongiens du paléolithique au postmoderne sans transition les transformant en objet de folklore et en humanité de seconde zone reprenant les réflexions  de M Onfray concernant la civilisation Inuite et qualifiant la chose d’ethnocide : "L’uniformisation guette, la planétarisation vit de ces destructions...".  N’en est-il pas de même pour ce peuple ? Nous sommes aux antipodes des images d’Épinal qui font rêver et enchantent l’imaginaire. La réalité est la disparition des traditions et de la culture polynésienne appartenant désormais à une époque révolue.
Le match se termine par une victoire inattendue du Canada 25 à 20, nous quittons rapidement  le stade transit de froid pour aller nous réchauffer dans un restaurant en centre-ville.
Dix télés, cinquante tables faites de bois massif et de tabourets pesants dix kilos chacun, vingt pompes à bière…tout est dans la démesure dans ce bar. L’ambiance est bonne enfant, les serveuses sont charmantes et les plats combinés sont remplis de frites, d’huiles de viande et de poisson en beignet le tout arrosé par de la mayonnaise. C’est copieux, mais très américain, pour tout dire dégueulasse.
Malgré cela nous avons pu tranquillement regarder l’écosse battre difficilement la Géorgie, mais sans le son puisque de la musique vrombissait dans les nombreuses baffles Bose du pub.  Dès la fin du match, fatigués, nous prenons un taxi pour rentrer au camping.  Cet excès de sagesse nous permet d’éviter le pire, car en rentrant nous assistons en direct à un contrôle de police et d’alcoolémie. C’est assez impressionnant, il y a là un grand nombre de policiers et de véhicules dont un camion d’où entrent et sortent les chauffeurs des véhicules arrêtés.
Notre chauffeur parlemente avec les policiers  dans un anglais inconnu ce qui lui permet d’être exempté du soufflage dans le ballon. Il salue le policier, nous aussi et nous continuons notre route jusqu’au camping.
Même fatigués nos soirées ne peuvent plus se terminer sans la classique coinche. Celle-ci fut rapide et n’eut que peu d’intérêt. En deux manches nous écrasons une nouvelle fois nos adversaires, dépités.




Jeudi 15 septembre 2011
WHANGAREI-MATMATA
La rencontre
    
                             C’est le départ pour Thames dans la presqu’ile du Coromandel, à l’est de l’île du Nord. Cette étape doit aussi nous permettre de visiter la capitale économique de l’île du Nord, voire de la Nouvelle-Zélande toute entière: Auckland qui se trouve sur la route. Nous avions abandonné la visite d’Auckland lors de notre arrivée dans le pays à cause du temps froid et pluvieux, cette fois-ci nous ne ferons pas l’impasse mais la visite sera succincte, car la route pour arriver à Thames est longue, il y a plus de deux-cent quatre-vingts kilomètres prévus au compteur.
Les préparatifs de départ sont aujourd’hui totalement intégrés et l’imprévu est définitivement banni de notre organisation. Pour autant la promiscuité ainsi que la collectivité imposent des règles simples mais strictes: « Il est 8h départ à 9h 30 ». Ainsi tout le monde marche à son rythme, l’essentiel étant d’être prêt à l’heure prévue.     Comme il est désormais acquis que notre heure de lever oscille entre sept heures et huit heures, il est aisé de programmer un départ vers neuf heures trente.
Alain et Jean-Luc se sont levés de bonne heure ce matin. Profitant d’une avance confortable sur le temps collectif, ils décident d’escalader la petite montagne locale : Le Mont Parihaka qui est un ancien volcan aujourd’hui éteint. Il se trouve tout à côté du camping et va leur permettre d’admirer une dernière fois la ville de Whangarei et le paysage côtier.
  Le sentier part du camping, traverse la Hatea river par une passerelle puis grimpe au sommet à travers une forêt luxuriante et primaire au milieu d’impressionnants kauris. C’est une montagne chargée d’histoire et sacrée pour les Maoris.
 Hélas, pour nos sportifs, une grosse ondée néozélandaise réduit à néant tout espoir de voir au loin la ville et le port. Néanmoins, ils sont satisfaits de leur ballade du point de vue de l’exploit sportif puisqu’ils ont chronométré l’ascension et ont fait la course sans se le dire mais en la commentant pendant demi-heure à leur retour au campement. La frustration de ne pas avoir été de grands sportifs contrairement à Thierry ne les abandonnera jamais.
Thierry quant à lui voit son état de santé décliner. Le groupe s’inquiète, va-t-on être obligé de le rapatrier ? Toutes les nuits il se lève cherchant des Aspégic et des mouchoirs. Lui qui rêvait de faire des footings tous les matins, le voilà réduit à fouiller longuement la caisse à pharmacie de notre ami Feufeu cherchant désespérément  le remède miracle. Plus inquiétant, l’infection semble se propager dans notre maison roulante, car même si Jean-Luc a accompagné Alain tout en haut du Mont Parihaka, la maladie pointe au bout de son nez et de sa gorge. Il sent bien qu’elle n’a pas encore choisi l’orifice par lequel elle va l’attaquer mais elle est là et c’est déjà trop tard.  Faut dire qu’avec l’humidité et le froid qui règne la nuit dans notre campervan, cela parait inéluctable pour les plus fragiles.
Comme prévu nous quittons Whangarei vers neuf heures trente, après avoir fait le plein d’eau et vidangé les entrailles du Mitsubishi. Nous traversons une dernière fois la ville et roulons tranquillement vers Auckland en suivant à nouveau la SH1. Nous sommes, toujours sous le charme des paysages mais nous prenons aussi le temps d’observer la conduite des transporteurs routiers  néozélandais. Ils semblent n’avoir aucune limitation de vitesse, c’est impressionnant de voir ces monstres rouler à vive allure sans se soucier un seul instant des autres véhicules.
À environ trente kilomètres d’Auckland la SH1 se transforme en une quatre voies que l’on peut qualifier d’autoroute. Nous roulons parfaitement, la circulation est fluide quand tout à coup un panneau de signalisation nous indique un péage. L’indication est assez cocasse, car elle indique simplement:  Not to pay is not  correct, après coup nous comprenons que les conducteurs sont invités à payer, mais que personne ne contrôle ou ne vous arrête. Le civisme n’a pas de limite au pays des kiwis. Pour nous, quatre Latins, dont un protestant, l’occasion est trop belle, nous décidons d’un commun accord de ne pas payer.
Auckland s’invite à nous par une route qui semble prendre appui sur l’eau. Les premières vues de la ville donnent l’impression qu’Auckland est posée sur une île. Les océans entourent la ville, à l’Est l’océan Pacifique entre dans la baie d’Auckland par le golfe de Hauraki tandis qu’à l’ouest c’est la mer de Tasman qui s’invite par l’intermédiaire du port de Manukau.
L’isthme d’Auckland est entièrement urbanisé, sa population est estimée à plus d’un million trois cent mille habitants soit plus du quart de la population néozélandaise. C’est une très grande métropole avec en son centre de nombreuses tours modernes alors que la périphérie est composée de nombreuses zones pavillonnaires. La structure urbaine des grandes villes néozélandaises est radicalement différente de nos villes européennes. Le Central Business District ressemble au fameux centre-ville américain reconnaissable à son plan en damier avec une régularité du tracé des rues qui se coupent à angle droit. C’est visible aussi bien dans le centre que dans les quartiers périphériques, l’impression générale qui domine est que les villes sont étalées avec une faible densité. L’urbanisation est incontestablement et essentiellement liée à l'essor de l'automobile, il n’y a qu’à voir les larges axes routiers qui traversent les villes. Sur la périphérie, on trouve de gigantesques shopping centers  avec de vastes étendues urbanisées en maisons individuelles entourées d'espaces verts, ouvertes et sans clôture.
Comme la voiture est le moyen de transport par excellence, y compris en centre-ville, tout est calculé pour trouver un stationnement à proximité. C’est donc très facilement que nous trouvons une place pour garer  notre imposant véhicule à seulement cinquante mètres de la Sky Tower, c’est-à-dire en plein centre-ville. C’est un peu comme si l’on se garait à Paris à cinquante mètres des champs Élysées.
Nous mettons nos premiers dollars dans un parcmètre et allons nous promener dans la ville puis visiter la Sky Tower. C’est pour Auckland l’équivalent de notre tour Eiffel à Paris. C’est la tour emblématique d’Auckland mais aussi de la Nouvelle-Zélande, c’est la plus haute tour de l’hémisphère sud pointant à trois cent vingt-huit  mètres au-dessus de l’eau.
La tour fait partie de la Skycity Auckland qui est un complexe grandiose composé de restaurants, dont un panoramique situé à deux cents mètres de hauteur qui tourne de trois cent soixante degré toutes les heures, de bars et d’un immense casino, le plus grand de Nouvelle-Zélande et un des plus grands de l’hémisphère sud. L’attraction principale étend bien sûr de monter tout en haut pour pouvoir admirer Auckland et ses environs, par beau temps on peut voir jusqu’à quatre-vingts kilomètres. Une boutique de souvenirs pour touristes est bien entendue présente et pour la première fois on nous rappelle que le film : Le seigneur des anneaux a été tourné dans ce pays. Une multitude de gadgets et de maquettes ventant le film, mais aussi le pays sont en vente.
Nous décidons de nous offrir la montée malgré un prix relativement élevé comme toutes les activités néo-zélandaises. Le prix est de trente-cinq dollars c’est-à-dire vingt euros. Un ascenseur panoramique nous amène cent-quatre-vingt-dix mètres plus haut dans une tour cylindrique d’environ trente mètres de diamètres.
 Hélas le temps ne nous permet pas de profiter entièrement de la vue, une pluie violente s’abat sur Auckland pendant que nous cherchons L’Eden Park, le stade mythique du rugby. Auckland s’étend à perte de vue avec une multitude de ports et de bras de mer. On a l’impression que la mer entoure Auckland. La visite reste tout de même spectaculaire, nous voyons toutes les dix minutes passer des gens par la fenêtre….Une des attractions de la Skycity est le SkyJump qui permet de sauter du haut de la tour, attaché à un câble. La plaisanterie coûtant deux cent vingt-cinq dollars néozélandais c’est-à-dire cent-cinquante euros nous faisons  l’impasse, malgré l’envie de Jean-Luc qui réclame à cor et à cri de sauter. Pour Thierry, cela semble plus délicat vu ses difficultés à franchir trois petits mètres sur un plancher fait en verre nous donnant l’impression de marcher dans le vide.
Après être redescendus à vive allure dans l’ascenseur panoramique, nous achetons quelques cartes postales pour le souvenir et avant de quitter ce lieu nous ne pouvons pas nous empêcher d’aller au premier étage faire un tour dans l’immense casino de la SkyCity.
Thierry retrouve beaucoup d’assurance et semble transporté par ce royaume du jeu ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre et trois cent soixante-cinq jours par an. Mille six cents machines à sous, plus de cent tables de jeux, baccarat, poker, roulette, Blackjack, jeux de dés, dominos, rien ne manque, c’est impressionnant. À l’intérieur du casino, il est même prévu une cafétéria ou l’on peut manger tout en continuant à jouer. Alain hésite un court instant à tenter sa chance, mais finalement se ravise préférant mettre son argent ailleurs. Nous quittons ce lieu de perdition sans regret mais avec la certitude qu’aux quatre coins de la planète les vices de l’Homme sont identiques. Continuant nos travaux d’ethnologie, nous constatons que la grande majorité des joueurs sont d’origine asiatique. Pour preuve, beaucoup de tables ont les notices explicatives en écritures asiatiques. Nous ne savons de quels pays il s’agit mais en tout état de cause un grand bisness existe avec les pays asiatiques.
 Nous quittons la SkyTower pour aller déjeuner dans la ville. Nous avons prévu le repas dans un bar dont le nom résonne harmonieuse à nos oreilles : Le Pastis. Oui Auckland à la particularité d’héberger dans son antre le restaurant Le Pastis..
Le restaurant,  très branché Frenchies, est à deux pas de la tour. Pendant qu’Alain, toujours sérieux, revient au Campervan remettre de l’argent dans le parcmètre nous nous avançons vers le lieu. Nous entrons, et là, attablés, une partie de l’équipe de France déjeune. Divine surprise pour tout supporter qui se respecte. Nous avons l’immense privilège de rencontrer les joueurs qui aujourd’hui ont quartier libre et peuvent donc profiter d’Auckland et de ses richesses culinaires.
Autant l’avouer nous avons parfaitement rempli la mission du parfait supporter. Nous avons apostrophé nos idoles et  nous leur avons demandé la permission de les filmer. Le capitaine Rougerie donne l’autorisation, sans même nous regarder continuant sa discussion avec L Nallet face de lui. Bêtement impressionnés et troublés par quinze mômes, nous cherchons à transformer l’éphémère rencontre par un souvenir éternel. Les appareils photographiques  et mon caméscope sont à l’œuvre. Thierry submergé par l’émotion loupe ses photos, le caméscope immortalise l’instant.
Alain revenu du diable Vauvert sans avoir pu mettre de l’argent dans le parcmètre est à son tour abasourdi par la chance incroyable que nous avons. À pas de velours nous nous glissons vers le comptoir du restaurant et calculons longuement la stratégie à mettre en place pour avoir d’autres photos avec des joueurs à nos côtés. Moment magique où notre imagination déborde pendant que notre gosier, sublimé par les odeurs d’anis, invite nos papilles à déguster la proposition d’assiette de charcuterie affichée aux murs.  N’y tenant plus nous nous installons et déjeunons à une table voisine, guettant comme des gosses, les joueurs de notre équipe nationale. Le patron est un Français expatrié en Nouvelle-Zélande et originaire de Villefranche-de-Rouergue. Toutes ses serveuses sont de jeunes Françaises. Cela nous facilite la tâche pour pouvoir échanger et commander. L’accueil est sympathique mais il est clair que nous ne sommes pas le centre d’intérêt du personnel.
Nous terminons notre modeste assiette de charcuterie bien avant que les joueurs achèvent leur copieux repas. Nous quittons la salle et, nous nous installons sur la terrasse. Nous commandons une pression 1664 aux saveurs oubliées, en attendant la sortie des vedettes.
Au bout d’une petite demi-heure ils sortent enfin, nous les abordons et leur demandons l’autorisation de prendre quelques photos à leurs côtés. Ils acceptent pour notre plus grand bonheur. Certains sont très sympathiques et plaisantent avec nous comme le pilier  Fabien Barcella, ou le centre David Marty d’autres sont plus hautains comme les trois Montpelliérains. Je mets Picamoles dans les trois, considérant qu’il n’est pas Toulousain. J’assume ce choix.
On a cru comprendre ce jour-là deux choses. La première est que l’ambiance n’est pas au beau fixe au sein du groupe, il existe des clans. La seconde est que le temps du rugby de papa où le soir  nous avions le rugby au cœur et le vin gai pour reprendre l’expression de Denis Lalanne est révolue. Nous avons des stars qui se prennent pour des stars. Il y a comme un gout amer qui nous inquiète pour l’avenir du monde de l’ovale, n’est-il pas en train de prendre le même chemin que celui qu’a pris le ballon rond ?
Cet instant jubilatoire refermé nous revenons au campervan où une amende de onze dollars nous attend, Alain n’avait pas pu remettre de l’argent dans le parcmètre, qu’importe nous payerons. Nous reprenons la route en direction de l’Eden Park. Arrivés devant l’enceinte, nous nous garons à proximité et faisons le tour dans un silence  religieux. Nous parlons peu, nous nous recueillons sur un des lieux de culte majeur du monde de l’ovalie. Nous communions tel des protestants dans les Cévennes, des catholiques à Rome ou des musulmans à la Mecque. Souvenir du 14 juillet 1979 qui vit le coq bleu, crête dressée et torse bombé de JP Rives, battre pour la première fois les Alls-Blacks de G Mourie en Nouvelle-Zélande.
Nous ne pouvons pas pénétrer à l’intérieur et toucher la pelouse, tout est fermé, même le musée qui jouxte l’enceinte, dommage. Le temps s’écoule, nous prenons donc la décision de quitter Auckland et de rouler en direction de Thames, destination finale de notre journée.
En périphérie de la ville, nous faisons quelques courses dans un grand shopping center. Pour la première fois nous achetons l’endémique patate douce néozélandaise, les Kumara. Nous profitons de cette halte pour faire le plein en vin et Thierry comme à l’accoutumée le fait aussi mais avec de la viande. Vers seize heures nous quittons définitivement Auckland et pour la première fois, nous rencontrons quelques embouteillages sur la SH. Nous expérimentons alors une nouvelle façon de conduire.
Les bretelles d’accès pour entrer sur la SH1 sont dotées de feux tricolores. Toutes les dix secondes environ le feu passe au rouge pour deux secondes permettant à une ou deux voitures d’accéder à l’autoroute. Cela donne des situations cocasses où de front, les conducteurs préparent leur démarrage en imitant un départ des vingt-quatre du Mans. Alain s’enthousiasme pour cette nouvelle épreuve et gagne son duel face à une voiture bien plus puissante.
Nous revoilà en pleine campagne dans la région centrale de l’île. Le paysage par rapport au Northland est différent, nous traversons de grandes plaines fruitières entrecoupées de gigantesques pâturages avec ici ou là des haras. Le cheval est très présent en Nouvelle-Zélande, depuis le départ de notre périple nous voyons de nombreux d’hippodromes.
La nuit tombe très vite en cette période en Nouvelle-Zélande, nous avons tendance à l’oublier. C’est le cas encore ce soir. Vers dix-sept heures trente, il fait nuit noire, la route est mauvaise et les conditions atmosphériques détestables, des bourrasques de vent et de très fortes averses perturbent notre marche en avant vers le Coromandel.
Nous avons pris beaucoup trop de retard sur l’itinéraire prévu, mieux vaut accepter de réduire le voyage et supprimer la visite de la presqu’ile du Coromandel et la bay of plenty pour se rapprocher de Matmata destination suivante de notre programme. Après une rapide analyse de la situation nous laissons à regret sur notre gauche la presqu’ile du Coromandel et la bay of Plenty pour nous rapprocher de Matmata.
La nuit est tombée, dans l’obscurité totale nous  cherchons Le lieu de villégiature idéal pour poser notre campervan, sauf que dans ces cas-là il n’existe pas. Les bas-côtés des routes de Nouvelle-Zélande sont mal aménagés, il y a très peu d’aires de stationnement, il est donc très difficile de trouver l’aire idéale. Chaque fois que nous en voyons une, il est trop tard et comme le demi-tour est pratiquement impossible avec notre engin nous roulons longtemps. La tension prend place à l’intérieur, gommant pour quelques temps notre boulimie à avaler des kilomètres. Si le voyage permet la découverte de soi et de l’autre, la fatigue et la faim contribuent à l’exacerbation des véritables natures, les nôtres commencent à être un peu dans l’excès. Nous devenons grincheux et quelques escarmouches viennent tendre l’ambiance à l’intérieur du cockpit, l’arrêt s’impose. L’indigestion eut du bon puisqu’elle nous obligea pour la suite du voyage à modérer notre soif de découverte. Nous jurons, mais un peu tard, que la route prendra désormais fin au plus tard vers seize heures pour nous permettre d’apprécier les lieux et pour profiter du pays.
Vers dix-neuf heures trente, nous posons en bord de route notre maison motorisée avec beaucoup de soulagement, Ce soir nous dormons en bordure de la nationale, sur une aire de repos. Derrière nous, trois cents vaches nous regardent et se demandent ce que nous foutons là. Le temps ne s’étant pas amélioré nous nous recroquevillons dans notre salon et dînons copieusement. Nous mangeons les steaks toujours aussi tendres et les patates achetées l’après-midi. Elles se révèlent très gouteuses avec un arrière-goût de châtaigne, c’est original et surprenant à la fois mais très bon. Je ne suis pas sûr qu’à notre retour nous en mangions beaucoup, mais le charme des voyages est de permettre ces rencontres et de trouver les choses bonnes ou belles.
Nous avons en fin de soirée fait notre coinche quotidienne et nous avons magistralement  exécuté nos piètres adversaires. Ils ne sont pas au niveau et cela devient lassant, nous envisageons de changer les équipes mais cela ulcère Alain qui ne veut pas en entendre parler. Pour être tout à fait honnête Jean-Luc n’a plus trop la tête au jeu, le rhume imperceptiblement gagne du terrain.
Quand nous avons embrassé Morphée, il était à peine vingt-deux heures.



Vendredi 16 septembre 2011
MATMATA-ROTORUA
                           Les terres du milieu
                         Toute la nuit, la pluie, le vent et le vrombissement des camions nous ont bercés, le lever s’en ressent, personne n’a le sourire.
La pluie a cessé de tomber mais la météo est maussade. Après un petit-déjeuner expédié dare-dare, nous quittons notre repaire sans même prendre le temps de nous laver.  Nous ne voulons plus renouveler l’expérience de la veille, le temps gagné le matin est du temps gagné sur la soirée. Nous ne traînons pas, car nous voulons arriver de bonne heure à notre destination finale : Rotorua. Ce matin, nous prenons la direction de Matmata, première étape de notre journée, qui se trouve à une tretaine de kilomètres.
Le village de Matmata a comme unique  intérêt  d’être un des lieux de tournage important du film de P Jackson le seigneur des anneaux. C’est ici que les scènes du village des Hobbits ont été tournées. Ils ont donc laissé les décors et l’on peut voir le village tel qu’il est dans le film. Matmata est aussi appelée Hobbiton par les kiwis. C’est à l’évidence un attrape couillon à touriste, ils sont gâtés ils en ont quatre ce matin.
Matmata est une petite ville rurale de cinq mille habitants environ. Nous sommes dans la région du  Waikato et cela sonne bien aux oreilles des rugbynophiles que nous sommes. Nous sommes sur les terres des Chiefs, équipe de rugby qui joue chaque année dans le super quinze, même si la capitale du Waikato est Hamilton nous sommes au cœur du rugby néozélandais et en même temps le rugby néozélandais à t-il un cœur ? Tellement il est présent partout.
Le paysage a changé, nous traversons d’immenses pâturages vallonnés. C’est une succession de petits mamelons et de petites collines avec des milliers de moutons paissant l’herbe verte et grasse, le tout étant découpé d’interminables clôtures. On pourrait se croire quelque part au pays basque si une végétation dominée par des yuccas et des eucalyptus ne venait pas nous rappeler que nous sommes aux antipodes des vertes vallées basques.
Nous nous laissons charmer par le paysage et nous arrivons à Matmata aux environs de huit heures trente. L’office du tourisme n’est pas encore ouvert, mais à proximité nous trouvons un  petit café qui nous permet de soulager nos organismes des patates douces mangées la veille. Le pacte scellé le premier jour entre nous vaut toujours et tout le monde le respecte, les WC du campervan seront vierges quoi qu’il arrive.
L’ingéniosité des kiwis n’a pas de limite. Ce café dispose d’une vingtaine de revues et de journaux permettant aux clients tout en prenant le café de lire la presse gratuitement. Mieux, un appareil étrange en tôle d’environs cinquante centimètres de côté est posé sur une étagère et est visiblement à disposition des clients. Il s’agit tout simplement d’un chargeur de portables contenant une dizaine de connexions différentes permettant à tout propriétaire de trouver son bonheur. C’est tout simple, mais cela vous permet avant d’aller travailler de passer un petit moment agréable. Incontestablement, l’ensemble de la clientèle est dans l’attente de partir au boulot à l’exception notoire des quatre couillons qui attendent l’ouverture de l’office du tourisme.
Dès l’entrée dans les locaux, nous comprenons que la visite d’Hobbiton est payante, mais surtout très chère : soixante dollars par tête. C’est un bus qui vous amène sur les lieux du tournage à environs cinq kilomètres. Nous décidons donc d’y aller par nos propres moyens nous verrons bien quand nous serons sur place. 
Quand nous arrivons sur les lieux nous comprenons la subtilité de la visite. Les kiwis sont malins, il est absolument  impossible de voir le site de tournage. Sur place, une ancienne grange est aménagée en musée où une petite exposition et de nombreuses photos retracent l’épopée du tournage. Un bar complète l’endroit,  mais pour le reste, c’est impossible de voir quoi que ce soit.
Le jeu de piste continue, il faut prendre une nouvelle navette qui vous amène dans un lieu tenu secret. Nous refusons de participer à cette mascarade et laissons tomber la maison de Bilbot. Le paysage aux alentours fait penser incontestablement à la petite ville du film et cela suffit à notre bonheur.
 Nous décidons donc de continuer notre route en direction de Rotorua et de quitter ce piège à touristes.
 Nous reprenons la route, considérant, à tort, que nous pouvons désormais rouler sans nous servir des cartes locales. Nous faisosn de nombreux kilomètres au milieu des collines et des prairies admirant encore et encore le paysage, mais à force de tourner en rond nous avons repris la carte en main pour retrouver enfin la bonne direction. Nous avons perdu une bonne heure dans l’histoire mais avons aimé ce lieu perdu au milieu de nulle part.
Progressivement les collines et les vallons laissent la place à un paysage montagneux. Le plateau central de l’île du Nord commence à se dessiner. Il fait plus froid et les conifères et les hêtres font leurs apparitions. L’altitude oscille entre huit cents et près de mille mètres pour le sommet le plus haut. La distance à parcourir pour rejoindre Rotorua n’étant que de soixante-dix kilomètres, c’est en une petite heure que nous franchissons cette dernière étape.
 Le district de Rotorua est divisé entre les régions de Bay of Plenty et de Waikato. Il est mondialement connu pour son activité géothermique et pour ses lacs. On y trouve de nombreux geysers, notamment le Pohutu à Whakarewarewa et des mares de boue chaude dans la ville même. Nous arrivons dans la  caldeira de Rotorua.
Pour la petite histoire, le nom de Rotorua est d'origine maori, le nom complet est Te Rotorua-nui-a-Kahumatamomoe. « Roto » qui signifie « lac » et « rua »  deux. Nous sommes donc  aux abords du  deuxième lac. Kahumatamomoe est l'oncle du chef Maori Ihenga, C'est le second lac qu’a découvert  Ihenga, qui le nomme ainsi en honneur de son oncle. (Quand on roule on a le temps de lire et de jouer l’instruit…)
Rotorua est une ville touristique d’environs soixante mille habitants située au bord du lac éponyme magnifique. L’architecture urbaine est toujours la même, à savoir des maisons de bois, de plein pied avec un quadrillage parfait de la ville répartie par quartiers, le tout agrémenté par des couleurs pastels et des enseignes commerciales très voyantes et très colorées. La structure et l’organisation sont toujours similaires avec un CDB au centre et suivant un modèle concentrique on trouve des villas dans des lotissements avec des trames de rues identiques. 
 Des odeurs de souffre viennent tout de suite vous rappeler qu’ici les volcans ne sont pas bien loin. La terre du milieu gronde en permanence et à tout moment elle peut se réveiller, aussi sans faire trop de bruit, nous traversons la ville sans nous arrêter pour chercher un camping dans l’optique de nous poser, faire quelques lessives, et nous connecter à Internet pour donner des nouvelles à la famille.
Nous sommes un peu las, la nuit dernière fut courte et nous en payons les conséquences, nous avons besoin de repos de plus  Jean-Luc commence à ressentir les premiers symptômes d’un rhume endémique qui va lui causer quelques soucis dans les jours futurs, mais il l’ignore à cet instant.
Nous choisissons le Holiday Park thermal. Même si ces chaines de campings sont relativement chères, environ quatre-vingt-dix dollars néozélandais pour une nuit à quatre, nous en sommes très satisfaits car l’hygiène et l’espace sont vraiment très corrects. Celui-ci l’est tout particulièrement, c’est un authentique trois étoiles et certainement un des plus beau que nous ayons eu depuis notre arrivée. C’est à quatre, unissant nos compétences linguistiques et notre charme que nous communiquons avec la ravissante hôtesse d’accueil pour obtenir une place et des informations sur les lieux à visiter.
L’installation pris peu de temps et rapidement nous passons à table, la faim nous tenaille car il est déjà tard. Mais plus que la faim c’est la soif qui nous tourmente et qui nous entraine dans des débordements. En effet notre repas est bien arrosé, trop sans doute et l’enthousiasme débordant nous entraine dans une après-midi d’adolescents pataugeant dans les bains chauds du camping. Dans un coin du camping, quatre bains nous attendent, repartis dans des cuvettes d’environ deux mètres sur trois. Il n’y a personne, le temps est beau, mais la température fraiche. Le repas de midi nous permet de supporter le froid et nous nous jetons dans les bains qui s’avèrent régénérant et étonnamment chauds. Le thermomètre indique quarante degrés.
Nous y passons beaucoup de temps savourant  l’instant conscient de la chance que nous avons d’être là. Nous prenons le temps, on infuse longuement avant d’aller plonger à proximité dans la grande piscine de douze mètres sur six environ légèrement moins chaude. Pour les grands enfants enivrés que nous sommes, le jeu et la compétition nous rapprochent et nous stimulent à tel point qu’Alain passe à deux doigts du rapatriement sanitaire suite à une lourde chute au bord de la piscine. Il nous fit un peu peur et beaucoup rire, mais finalement plus de peur que de mal, il peut continuer la tournée.
Après ces moments d’allégresse nous retournons à notre domicile nous reposer quelques peu avant d’aller visiter la ville de Rotorua. Après avoir garé le campervan sur un grand parking, nous allons nous promener au bord du lac et admirer les lieux. C’est une ville touristique indéniablement tournée vers son lac. Tout un tas d’activités y sont proposées même si en cette saison cela parait bien calme.
La coupe du monde comme partout est bien présente, mais visiblement la ville a du mal à se dégager d’une atmosphère de fin d’hiver attendant la période estivale. Nous nous occupons en donnant à manger nos restes de pain aux mouettes qui tournent autour de nos têtes à moitié folles et ivres de bonheur comme nous. Les célèbres cygnes noirs à bec rouge ne sont pas en reste et réclament une part du gâteau. Les gens du coin nous dévisagent sans que nous ne comprenions pourquoi, c’est en quittant le parking que nous voyons une  puis deux puis trois pancartes où il est écrit « Do no feed the bird » il est interdit  de donner à manger aux oiseaux.
L’activité écriture étant programmée, nous achetons des cartes postales et des timbres puis nous faisons quelques courses dans un des supermarchés de la ville en prévision du repas du soir car il est acquis que nous mangeons chez nous. La ville touristique de Rotorua a les mêmes désagréments que l’ensemble des villes touristiques du monde entier, à savoir que les restaurants nous paraissent chers et pas forcément très bons. De plus, il y a toujours peu ou pas de restaurants Néozélandais, mais une multitude de restaurants asiatiques et italiens. A manger des pates autant que ce soit moins cher et le vin pourra couler sans restriction financière.
Jean-Luc et Thierry vont faire les courses dans un des nombreux supermarchés. Jean-Luc sature de manger de la viande bovine ou ovine à tous les repas, réclamant du poisson à corps et à cris. Si Jean-Luc a besoin de poisson, Alain a besoin de retrouver le gout et l’odeur de notre anis. A proximité du supermarché, un magasin de liqueur nous fait de l’œil. Alain n’y tenant plus profite du moment d’absence de Thierry et Jean-Luc pour se jeter à l’intérieur du magasin et acheter soixante- dix centilitres de Pernod à cinquante-cinq dollars néozélandais c’est-à-dire à près de trente-cinq euros. Quand on aime on ne compte pas. Je suis solidaire de sa forfaiture et prêt à en découdre avec nos deux comparses s’ils trouvent l’achat superfétatoire en même temps peu inquiet de leur réaction. Le poisson a aussi coûté cher et nous n’avons fait aucun commentaire, donc acte.
De retour au camping, la nuit est tombée. Jean-Luc s’est lancé dans un travail culinaire de haut vol préparant avec amour ce premier plat de poissons. Il s’est installé avec Alain  dans les vastes cuisines du camping dotées de cinq fourneaux. Un grand salon équipé de trois ordinateurs permet de boire l’apéritif en attendant le repas et de cliquer sur la souris. Le pernod nous permet de retrouver un peu du pays resté si loin. Après cette mise en bouche, nous allons à proximité dans une salle à manger équipée d’une télévision dans l’attente de voir le match de la soirée : All- Blacks-Japon. Alors que nous cherchons la chaîne susceptible de retransmettre le match, nous voyons arriver quatre ou cinq jeunes mamans kiwis accompagnées d’une dizaine de jeunes adolescents. Nous ne serons jamais si c’était des mamans accompagnant leurs enfants ou des éducatrices en transfert ?
La seule chose que nous pouvons affirmer, c’est qu’elles boivent du vin blanc avec détermination et enthousiasme tout en mangeant des pizzas sans trop se soucier des jeunes. Elles ont le vin gai et semblent prendre beaucoup de plaisir à parler et se moquer de nous. Le vin a incontestablement entamé leur lucidité et fait tomber quelques barrières linguistiques et culturelles elles s’encanaillent à nous dévisager et à nous sourire.
Nous ne prêtons aucune attention à leur petit manège, concentrés que nous sommes à trouver la bonne chaîne et à faire fonctionner correctement le radiateur électrique. Le froid est tombé sur Rotorua et nous commençons à avoir très très froid.
Le petit jeu cesse rapidement car elles comprennent vite que nos priorités pour la soirée sont avant tout rugbystiques, culinaires et œnologiques, dépitées elles nous nous abandonnent. Il est dit que notre voyage est celui de l’amitié et il n’y a  pas de place pour autre chose que ce soit ce soir ou un autre jour.
Le poisson le riz et le vin sont appréciés comme il se doit et les talents culinaires de Jean-Luc et Alain vantés, mais hélas le repas prend fin rapidement, nous quittons la pièce séance tenante…La télévision ne marche pas. L’urgence de la situation nous conduit à tout poser en vitesse dans notre campervan et à partir dans les rues désertes de la ville à la recherche d’un café retransmettant le match.
Dans le froid glacial, nous marchons dans la banlieue de Rotorua à la recherche de l’hypothétique pub, hélas nous devons nous résoudre à accepter l’inacceptable, il n’y a aucun pub à proximité du camping et nous ne croisons personne. Nous décidons de retourner à la case départ pour chercher un autre salon dans le camping en espérant une télévision qui fonctionne. Finalement nous en trouvons un avec une dizaine d’autochtones regardant le match. Nous prenons place discrètement sur deux banquettes au fond de la salle. Notre arrivée ne semble nullement perturber les téléspectateurs déjà pris par le match. Au bout de quelques minutes, réchauffés et bien installés, nous ressentons les effets de la fatigue accumulée tout au long de cette journée et les effets d’une consommation d’alcool peut-être excessive. Face au sommeil nous sombrons, à tour de rôle. La cause de cette baisse de tension vient aussi du fait que le match tant attendu s’avère relativement indigeste. En effet, les All Blacks déroulent leur rugby face au Japon et l’emportent par 83 points à 7. Les Néo-Zélandais ne laissent pas la place au doute contrairement aux français. Ils mettent treize essais à une équipe du Japon que nous avions eu beaucoup de mal à battre voici cinq jours. Jean-Luc serein, nous explique que c’est une parodie de rugby et que ces Blacks sont prenables. Que les dieux du rugby l’entendent.
Nous rentrons transis de froid et mettons tous les chauffages possibles et inimaginables de notre campervan. La cuisinière à  gaz a les trois brûleurs qui fonctionnent, cela permet d’aider notre petit ventilateur électrique à réchauffer l’atmosphère. Jean-Luc a définitivement basculé du côté de la force obscure et la maladie s’est introduite en lui. Alain sentant les risques d’épidémie se propager à l’intérieur du campervan met en place un cordon sanitaire à base de gin- Kas. Cela a des vertus médicinales incontestables et lui permet de démarrer une seconde vie en cette fin de soirée car la première partie devant le match de rugby a été laborieuse.  Il retrouve à cet instant une santé  de fer et un enthousiasme inattendu qui aurait pu  invalider sa victoire à la coinche pour prise de substances illégales. L’éthique est notre force, grands seigneurs nous ne contestons nullement leur ecrasante victoire et reconnaissons notre défaite à la coinche. L'humiliante victoire et le breuvge ingurgité rendent Alain particulièrement volubile et gaie au moment d’aller au lit. Il ne veut plus se coucher et chambre  Thierry avec sa faconde légendaire. Heureusement que le camping est quasiment vide. Pour la première fois nous nous couchons après minuit.

 Samedi 17 Septembre 2011
ROTORUA-NAPIER
                                     Hawke’s bay

                        C’est le départ pour Napier, nous espérons retrouver la chaleur et le soleil sur les bords de l’océan Pacifique. Nous prévoyons de rouler paisiblement sur les cent trente kilomètres prévus espérant arriver en fin d’après-midi. Pour une fois, nous ne sommes pas pressés même si le programme une fois de plus s’avère copieux.
Avant de partir Alain et Thierry se lancent dans la fastidieuse activité: Ecriture des cartes postales. Malgré un paysage poétique, face à un petit lac, assis sur un salon de jardin tout en bois et par un très beau soleil matinal l’inspiration s’invite laborieusement. Chaque carte postale est travaillée, pensée, ciselée en fonction du destinataire. C’est un vrai travail littéraire à part entière qui demande un cadre et du temps. J’admire cette abnégation à vouloir faire vivre nos moments de bonheur à ceux restés au travail en France.
Une petite précision s’impose, l’artiste littéraire est Alain, Thierry, est beaucoup plus dans le rôle de l’archéologue à la recherche de ses outils. Il a perdu les cartes postales et son stylobille. Il n’est pas à son coup d’essai, il perd tout et pour ce matin ce sont les cartes postales achetées la veille. De l’entrée du camping, à l’intérieur du campervan il cherche, soulève, transvase accuse soupçonne mais elles restent introuvables. Finalement il les retrouvera enfin.
Quant à Jean-Luc en fidèle et authentique supporter de son équipe de rugby, en cette belle matinée de printemps austral, il suit le match en direct qui oppose son CO contre Agen pour le compte de la 4ème  journée du Top 14. Pendant une petite heure il va et vient entre notre véhicule et les salons du camping équipés d’ordinateurs et connectés à internet. Il suit l’évolution du score et vient nous informer, rayonnant de bonheur, que le Castres Olympique a battu  Agen avec le bonus offensif et quatre essais à la clé : 30 à 11. À cet instant précis la maladie qui toute la nuit l’a obligé à consommer un nombre incalculable de mouchoirs s’est dissipée, mais pas pour très longtemps.
Le match terminé, les cartes écrites, c’est vers dix heures que nous prenons la route en direction de la Hawke’s bay et plus précisément de sa capitale Napier. C’est après quelques kilomètres seulement qu’est prévu notre premier arrêt : Il se nomme WAI-O-TAPU et est à seulement vingt-cinq kilomètres de notre point de départ : Rotorua.
Il s’agit d’un des nombreux sites géothermique de la région, nous laissons tomber la panoplie d’archéologue ou d’ethnologue pour enfiler celle de vulcanologue, nous sommes au plus près du danger à observer et à écouter les terres du milieu. Alain joue le rôle de guide, nous expliquant toutes les subtilités de la géothermie. 
Ce site regorge d’endroits où l’on peut observer et humer  des sources d’eau brulante, des geysers, des mares de boues bouillantes et bouillonnantes et autres phénomènes géothermiques. C’est très beau, les paysages sont aussi colorés qu’impressionnants constellés d’attractions naturelles éclatantes et inquiétantes. Aux roches jaunes dévoilant la présence du soufre succèdent des roches sous l’eau bouillonnante d’un violet orangé indiquant l’oxyde de fer et le manganèse. Avec ses fumerolles de vapeur que l’on voit s’échapper des endroits les plus improbables le parc est parsemé de cratères grondant pour se terminer au-dessus d’un lac d’un vert étonnant révélant la présence d’arsenic  Cette visite de deux heures se conclue par une arrivée finale classique et décevante. Un vulgaire magasin à souvenirs attend le chaland, il n’en faudra pas plus pour que  Thierry trouve deux ou trois tee-shirts lui permettant de compléter sa collection.
L’heure du déjeuner approchant et le temps toujours clément, nous décidons de pique-niquer sur le parking dans un petit espace fort bien aménagé. Pendant que certains installent la table, d’autres sont aux fourneaux, ouvrant la première boîte de conserve d’haricots typiquement néozélandaise tout en faisant cuire les dernières Kumaras.
L’aire de pique-nique est à l’image du pays, ravissante. Dans une petite clairière deux tables en bois nous attendent sur une pelouse formidablement grasse et verte entourées d’arbres endémiques et de fougères géantes ou des centaines d’oiseaux s’en donnent à cœur joie. C’est le printemps.
 Hélas, la pluie vient très rapidement stopper ce moment bucolique d’hommage allégorique à la nature,  nous rappelant le sens de notre destinée : Nous allons en mission à Napier soutenir l’équipe de France, nous ne sommes pas là pour flâner. Nous quittons donc Wai o tapu de façon précipitée, le café comme la vaisselle attendront.
 Dans le campervan, quelque chose change,  cela se sent. Si la beauté de la nature néo-zélandaise a attendri depuis trois jours les quatre occitans, aujourd’hui l’âme des guerriers des champs est revenue. Les discussions tournent autour du rugby et du prochain match qui attend l’équipe de france. On ne regarde plus trop les paysages. Les cascades croisées, les rivières traversées, les forêts primaires percées ne trouvent plus beaucoup d’intérêts à nos yeux. La priorité actuelle est de savoir qui jouera à l’ouverture demain.
Après une heure de route et une petite centaine de kilomètres avalée sans avoir vu un seul village, si ce n’est quelques fermes isolées ici ou là  nous décidons de nous arrêter boire un café dans un espèce de motel perdu en pleine campagne: La Rangitaiki Tavern.
C’est un Motel restaurant perdu au bout du monde à plus de cinquante kilomètres de toute ville égaré au milieu d’un vaste plateau désolé et inhabité dressé en bord de route avec les montagnes majestueuses du Kaweka forest park en toile de fond. C’est notre Bagdad café néo-zélandais.
L’intérieur est à l’image de l’enseigne et du lieu. Tout est en bois massif et sent l’asphalte. Du calendrier où de plantureuses filles dénudées ventent la bière Tui au magnifique jukebox des années cinquante en passant par un billard à moitié éventré jusqu’au jeu de fléchettes, tout y est. Si l’on rajoute la décoration des poutres  faite de casquettes de camionneurs et de casques de chantier offertes au proprio un soir de grosse fatigue avec une authentique  jambes en bois datant des années cinquante et une  cuvette de WC décorée contre les murs sans oublier les trophées de chasse, nous sommes vraiment au bout du monde dans le seul bar du coin. Finalement le lieu n’incitant pas à boire du café, nous décidâmes de boire quelques bières en roulant les r et en parlant anglaisoccitans.
Nous reprenons la route à regret, nous pouvions rester longtemps dans cet endroit. Finalement nous arrivons à Napier vers quinze heures en longeant l’océan Pacifique et en observant une nature totalement différente de celle que nous avions quelques dizaines de kilomètres auparavant. C’est une succession de grandes exploitations fruitières et vinicoles sur une immense plaine.
Nous traversons la ville parée de majestueuses oriflammes tricolores et de drapeaux à la feuille d’érable. Nous croisons de nombreux camping-cars, indice supplémentaire et significatif qu’un grand évènement se profile à l’horizon. Les campings paraissent déjà bondés, ils sont pris d’assaut par les supporters du XV de France arrivés en masse. Les drapeaux tricolores flottent un peu partout sur la ville.
  Finalement nous stationnons au TOP 10 Holiday Kennedy Park. Tous les emplacements réservés pour les camping-cars sont  complets. C’est dans un emplacement sans électricité et sans eau tout en bout du camping que nous stationnons. Nous ne sommes pas perdu et avons du mal à nous imaginer à l’autre bout de la terre puisque nos quatre voisins en  campervan sont des ariégeois. Pour une fois nous échangerons facilement avec le voisinage.
Nous posons notre maison motorisée, nous nous installons et sans perdre de temps, nous allons nous promener dans le centre de Napier qui se trouve à environ une demi-heure de marche. Dès le premier café repéré, nous remarquons qu’une télévision retransmet la rencontre Afrique du sud-Fidji. Alain s’immobilise sur le trottoir, derrière  la vitre de la porte d’entrée comme envouté par les images du match. Malgré nos appels successifs, celui-ci ne bouge pas. Finalement, il tourne la tête, nous regarde et nous suit comme hypnotisé. On peut s’interroger sur le degré de dépendance d’Alain vis-à-vis de ce sport, il y a incontestablement quelque chose d’inquiétant.
Au deuxième café le nuage toxique a envouté ses deux comparses. Ils rentrent dans le café, s’installent et ne bougent plus. Un grand écran permet de regarder le match et de nombreux supporters français sont attablés et le regardent avec une bière à la main. Plus rien ne semble les faire bouger, ils sont à leur tour hypnotisés et ne sont même plus en capacité de parler. J’informe mes camarades que nous sommes à Napier capitale de la région de Hawke's Bay et qu’à ce titre je me désolidarise du groupe et part me promener dans la ville. Je ne suis pas sûr qu’ils aient entendu.
Napier est une des villes les plus touristiques de Nouvelle-Zélande. La ville a été détruite en 1929 par un tremblement de terre. Totalement reconstruite pendant les années trente, toute l’architecture fait référence à cette période art déco. On qualifie souvent Napier de capitale du romantisme. Un certain charme a envahi cette cité balnéaire où le temps semble s’être  arrêté. Le romantisme français est donc associé à la ville et de nombreuses décorations des années vingt viennent renforcer ce mariage pour l’occasion.
Dans le centre-ville on trouve de nombreux pubs avec des touristes, français pour la plupart qui font la fête en chantant et en regardant le match. Devant un pub irlandais, je surprends quelques dizaines de supporters français hurlant et chantant des cantiques rugbystiques pleines de poésie en l’honneur de l’équipe de France tout en regardant eux aussi le match à la télévision.
Sur l’immense plage, la ville de Napier a dressé un grand chapiteau avec un groupe de chanteurs et des artistes divers et variés qui se produisent pendant qu’à proximité on peut déguster de nombreux produits régionaux
Après cette demi-heure pleine d’émotion, je retourne retrouver mes trois compagnons vautrés devant leur pinte de bière à l’exception de Jean-Luc fidèle à ses habitudes qui déguste un verre de vin. Le match n’est pas terminé et tient toutes ses promesses. L’équipe des Fidji accroche les Springboks.
Finalement, nous décidons de manger là. Au comptoir nous dégustons quelques frites accompagnées de mayonnaise et de sauces toujours aussi légères avec des fruits de mer en beignet. Cela a le mérite d’être copieux, mais question diététique ce n’est pas génial. Il est dix-neuf heures trente et nous avons mangé. panem et circenses rien de changé depuis deux mille ans.
À la fin du match, nous faisons un dernier petit tour dans la ville et posons nos guêtres dans un pub irlandais où règne une ambiance festive. Nous croisons l’ancien entraineur de Perpignan J Brunel ainsi qu’un journaliste de la télévision et commentateur du rugby sur la chaine FR3 : J Abaillou.
Il y a beaucoup de monde et nous ne trouvons pas de place pour nous attabler. Nous ressemblons à ces petits vieux occis après une journée de visite au rythme d’un voyage organisé. Nous décidons de rentrer à la maison sans même boire un coup et c’est en taxi que nous rejoignons notre camping épuisés par la journée, il est vingt heures trente.
En arrivant au camping c’est Thierry, qui gérant la caisse commune, cherche dix dollars pour payer la course. Bien évidemment il nous fait quelques frayeurs ayant cru avoir  perdu la caisse. Nous cherchons la caisse sous les sièges du taxi avant qu’il ne la retrouve dans sa poche.
C’est vingt heures trente et le match de rugby entre l’Irlande et l’Australie va commencer. Dans le camping, nous trouvons un petit salon doté d’un bar et d’une télévision. Nous nous installons avec une dizaine de compatriotes à moins de vingt-quatre heures du coup d’envoi du match de l’équipe de France. L’ambiance est feutrée, les fauteuils confortables la bière Steinlager à la main, nous sommes prêts pour suivre le match de la soirée.
Fort de mes connaissances rugbystiques indéniables, j’annonce fièrement aux trois lascars que l’Irlande va être en déroute, car l’Australie est pour moi la favorite de ce mondial. « Bon de toute façon comme  l’Irlande va prendre quarante points je vais me coucher». Aussitôt dit aussitôt  fait, je pars me coucher dans la minute suivante.
 À vingt- deux heures trente mes camarades de tournée rentrent dans le campervan, se délectant de mes dernières paroles et raillant mon incompétence et ma suffisance concernant le rugby. L’Irlande a battu, contre toute attente, l’équipe des wallabies et nous dégage  ainsi  le chemin de la finale, puisque l’Australie sera à priori  deuxième et donc dans l’autre moitié du tableau final. Nous jouerons donc contre l’Irlande ou le pays de Galle puisque nous devrions terminer second de la poule.
Il n’est que vingt-trois heures, mais la fatigue nous emporte. Pour la première fois depuis le départ de notre tournée, la partie de coinche est annulée, nous nous couchons sans même boire un dernier coup, c’est dire notre état de fatigue. Jean-Luc trouve quelques ressources pour appeler Muriel cinq minutes nous dit-il, personne n’est dupe une demi-heure plus tard il n’est toujours pas revenu se coucher, mais cela n’inquiète personne, nous commençons à connaitre le bonhomme. Pendant ce temps Thierry termine sa journée par un de ses petits jeux favoris : Le jeu de piste mental. Il repense mentalement la journée pour savoir où peuvent se trouver ses lunettes de vue...




Dimanche 18 Septembre 2011
NAPIER
                          France-Canada
               
                        En ce dimanche dix-huit septembre 2011, la pression est palpable dès le lever. Un silence pesant et inhabituel s’invite à l’intérieur du campervan. C’est jour de match et la tension est à son comble, pour éviter tout conflit majeur entre nous, je propose d’éclater le collectif le temps d’une matinée. Il parait important de conserver la cohésion du groupe en vue de la soirée qui s’annonce en laissant à chacun la possibilité de s’exprimer et de s’épanouir pendant un court laps de temps sans remettre en cause notre solidarité.
La décision est donc prise, pour la première fois, nous nous séparons en cette matinée ensoleillée, ce qui est en soi un petit évènement. Alain et Thierry se proposent d’aller faire les courses en vue des repas futurs, mais aussi pour refaire le stock  de divers produits de première nécessité qui commencent à manquer. Imperceptiblement, un couple est en train de se former à l’intérieur du campervan. Est-ce leur promiscuité nocturne qui amène cela ? Jean-Luc lui va musarder en ville à la recherche d’une pharmacie locale espérant trouver le remède susceptible de guérir son rhume qui s’est transformé en angine pendant la nuit. Nous nous interrogeons fortement sur les causalités qui ont pu entrainer l’angine, quand on sait que plus de quatre-vingt pour cent des angines sont des maladies psychosomatiques. La séparation avec Muriel et l’approche du match ne doivent pas être sans effets sur cette angine pensent-on.
 Au retour Jean-Luc nous avouera qu’il avait eu l’impression de s’être fait  enculer  par la pharmacienne locale qui  lui a vendu deux médicaments pour vingt dollars. Cela a effectivement un goût prononcé d’arnaque. Peut-être aussi que la pharmacienne a trouvé le pigeon de service, car la législation néo-zélandaise autorise les grandes surfaces à vendre des médicaments. Dans les rayons on peut acheter de nombreux médicaments, pas d’antibiotiques, mais tout ce qui ressemble à de l’aspirine ou de l’Efferalgan. Il y a donc fort à parier que les pharmacies n’ont pas les mêmes marges bénéficiaires qu’en France. J’ai toujours trouvé surprenant que cette profession soit à l’abri, en France,  de la concurrence libre et non faussée si chère à nos élites bruxelloises.
Pour moi ce fut une petite promenade renouvelée dans la belle ville de Napier avec en prime une visite chez le coiffeur local pour une coupe rafraichie. La Nouvelle-Zélande regorge de petits salons de coiffure tout à fait ordinaires répondant sans doute à une forte demande locale. Ces salons sont ouverts tard le soir et sept jours sur sept. Profitant de ma solitude, j’expérimente mon anglais travaillé pendant près de six mois pour me rendre compte au final que si j’arrive à m’exprimer de façon simple, mais compréhensible j’ai en revanche bien du mal à comprendre l’anglais kiwi. 
Je retire de la discussion avec ma charmante coiffeuse plusieurs choses. Elle me confirme qu’ici tout le monde vibre et vit pour le rugby, même si ce n’est pas un scoop c’est une confirmation. Elle exprime une certaine lassitude concernant sa situation professionnelle et le fait de travailler le dimanche l’exaspère profondément, rajoutant que pour les salariés c’est difficile de refuser, ce n’est pas un scoop non plus, mais c’est bien la confirmation que l’exploitation de l’homme par l’homme n’a pas de barrière géographique sur notre vaste village planétaire. Elle me vante sa belle ville de Napier qui est une ville touristique bénéficiant d’une météo clémente avec un ensoleillement de près de deux cent jours par an avec d’immenses plages de sable donnant sur l’océan pacifique mais comme partout l’ennuie s’installe l’hiver quand les touristes repartent. Elle rêve de vivre à Wellington qui est la plus belle ville néo-zélandaise où l’on s’amuse toute l’année. Je prends conscience que c’est la première fois que j’échange véritablement avec une autochtone ce qui témoigne de l’intérêt du voyage en solitaire que n’a pas notre tournée sauf si de temps en temps nous faisons le choix de quitter la cellule incestueuse du campervan. Le deuxième constat est que l’apprentissage de la langue ne peut être fait qu’en immersion totale dans le pays et non à quatre où chacun vient compenser les faiblesses de l’autre. Jean-Luc et Thierry ayant une longueur d’avance sur la compréhension de l’anglais, chaque fois que nous échangeons avec un kiwi, ils traduisent bien avant que j’ai pu comprendre le sens de la phrase. De la même façon pour demander quelque chose, chacun rajoute son mot et ainsi nous arrivons à nous faire comprendre. Cela s’apparente à de la solidarité linguistique, mais cela annihile mes travaux pratiques en vue de progresser dans la langue de Shakespeare.
Rafraichi sur le haut du crâne et sur le menton, ayant un peu de temps, je décide d’aller au-devant de l’inconnu en me baladant sur l’avenue dans le centre de Napier. Peine perdue, car dès les premiers mètres, je croise d’innombrables supporters français qui déambulent dans les rues en paradant aux couleurs tricolores dans des tenues aussi extravagantes les unes que les autres. Nous ne sommes plus vraiment en terre néo-zélandaise mais à quelques heures d’un match de coupe du monde de rugby.
 La ville s’est véritablement mise en quatre pour recevoir les nombreux supporters français. C’est à la fois sympathique et réjouissant, les kiwis sont décidément très accueillants. Le temps est de la fête puisque pour la première fois depuis notre arrivée en Nouvelle-Zélande je me promène en tee-shirt sous un magnifique soleil printanier. Sur le front de mer, des expositions de vieilles machines agricoles pétaradent dans un épais brouillard dû à une combustion très huilée, des dégustations de vins de la région et de fruits de mer régalent les babines de mes nombreux compatriotes pendant que deux petits groupes de musiciens locaux jouent des airs populaires français et l’inévitable « la vie en rose ». Ne voyant pas le temps passer j’en oublie de rentrer au camping à l’heure prévue. Le temps m’étant compté, je décide de prendre un taxi pour être, comme prévu, à douze heures trente au  rendez-vous.
A mon retour, j’aperçois mes camarades attablés devant le campervan, ils ont sorti nos chaises de jardin et notre table de camping. Ils boivent l’apéritif, notre Pernod, avec quelques cacahuètes installés sur  la pelouse bien grasse du camping. Ils sont rayonnants de bonheur. La magnifique banderole des vieux tan’oc est déployée, nous sortant de l’anonymat du camping. Nous portons haut et fort nos couleurs tarnaises et vielmuroises.
Nous ne sommes pas les seuls à chercher à sortir de l’anonymat puisque de nombreuses banderoles sont déployées permettant d’authentifier  le lien des supporters présents avec leurs régions d’origine. Tout le monde est attablé et boit l’apéritif, profitant du soleil généreux de Napier et d’une température somme toute clémente. Une forte odeur d’anis se dégage de ces rassemblements festifs nous rappelant nos campings languedociens au beau milieu du mois d’août, seule la pétanque est absente.
   Le repas est concocté avec soin par Thierry et un magnifique et toujours tendre rumsteck cuit au BBQ du camping nous est servi accompagné d’une belle salade et de quelques bouteilles de red wine. Le soleil est plus que jamais au rendez-vous ce qui amplifie l’instant magique que nous vivons. Tout va pour le mieux quand soudain Alain, au beau milieu du repas change de visage, s’excuse, se lève et amorce un sprint bizarre en direction des sanitaires du camping.
À son arrivée, le personnel de l’Holiday Park fait le ménage et a condamné l’entrée provisoirement avec un panneau amovible pour en informer la clientèle. Alain avalant sa salive, contractant ses sphincters leur dit dans un anglais parfait et très calmement URGENCY. Le personnel ne se fait pas répéter la phrase, comprend immédiatement que le danger est réel. Il part se mettre à l’abri et abandonne les lieux en mettant en place un cordon sanitaire autour du bâtiment ce qui permet à Alain de se soulager d’un grand poids devenu envahissant.
Alain revient rayonnant et le repas reprend. Nous fêtons l’évènement, comme il se doit, c'est-à-dire par une nouvelle bouteille de vin. En fait ce n’est que prétexte pour évacuer le stress du choc à venir. A la fin du repas nous profitons encore du soleil pour lézarder quelque peu avant d’aller boire le café dans le petit salon qui nous a accueillis la veille. Le match Pays de Galles-Samoa commence, nous profitons de l’aubaine pour regarder le début de la partie mais sans grand enthousiasme, il faut bien l’avouer, car nos esprits sont déjà tournés vers l’autre match, le nôtre.
Comme prévu, à seize heures, le camping organise pour ses clients une petite dégustation de vins avec des producteurs locaux ventant leurs produits. Il faut préciser que la ville de Napier est située dans la plus vieille région viticole du pays qui produit les vins fameux connus dans le monde entier, la  Hawke’s Bay. C’est la région  bordelaise des kiwis. Beaucoup de winnerys avec comme cépage principal le cabernet sauvignon, qui est aussi le cépage phare de l’appellation bordelaise médocaine.
Trahissant notre patrimoine viticole, nous achetons une bouteille de vin blanc que nous dégustons sur la petite terrasse adjacente au salon sous la chaleur du  soleil printanier à l’exception d’Alain qui ne veut rien perdre de la coupe du monde et qui continue à suivre le match retransmis à la télévision. Le Pays de Galle finit par s’imposer, mais de justesse face à une belle équipe Samoa fidèle à sa réputation.
. De nombreux supporters font comme nous et découvrent les vins du nouveau monde dans l’attente du match. Le rugby et le vin ont en commun de partager de nombreuses valeurs et de se compléter. L’amitié générée par les valeurs du rugby se retrouve aussi dans le monde du vin, il fut un temps où les vendanges jouaient souvent la prolongation de la troisième mi-temps et où le vin  décomplexait le freluquet à l’avant-match. Je ne suis donc nullement étonné d’apercevoir, Jef, mon ancien secrétaire du Comité d’Entreprise de la SNCF débarrassé de ses oripeaux syndicalistes pour en revêtir de nouveaux. Il est accompagné d’une bande de joyeux drilles, authentiques supporters de l’équipe de France. . Nous nous saluons à vingt mille kilomètres de la gare Matabiau.
Il suit, lui aussi, la coupe du monde dans le cadre d’un voyage organisé par une vingtaine d’amis passionnés de rugby de Saint Sulpice. Leur voyagiste a donc prévu la dégustation à laquelle nous assistons. Nous savourons quelques bouteilles et refaisons le monde comme il se doit en y mettant la petite pointe de sel politique qui nous rassemble. Il nous quitte rapidement, car sa mission de supporter reprend le dessus, il part au combat en chantant. Le vin a des vertus qui vous permettent d’affronter le danger n’importe où…
La tension monte d’un cran, à notre tour, nous nous préparons à partir au combat, mais une inquiétude pointe. Alors que le soleil a brillé chaudement toute la journée, il se propage l’inquiétante rumeur, dans les rangs des nombreux supporters présents, que la pluie risque de faire son apparition dans la soirée. 
Des supporters tricolores nous donnent de précieuses informations reçues dans les heures précédentes par Jo Maso, le manageur du quinze de France. Il assure que la pluie va tomber sur le champ de bataille aux alentours de vingt heures, c’est-à-dire du coup d’envoi.
Nous quittons le camping vers dix-huit heures trente, nous faisons le choix de ne pas prendre de vêtements de pluie malgré l’option pédestre pour nous rendre au stade. Nous n’avons aucune confiance dans les prévisions météorologiques du staff de l’équipe de France étant désormais entendu que leur incompétence est illimitée. Le crépuscule tombe sur Napier annonçant l’orage sur la pelouse du Mc Lean Park, mais nullement dans le ciel étoilé. 
L’option choisie nous permet d’alléger nos cabas en matériel superfétatoire, pour les remplir de recharges en houblon local. Désormais, la bière Tui nous suit systématiquement au stade, car nous refusons de participer à l’enrichissement de Heineken, le sponsor officiel. Le prix de la Tui est de trois dollars la canette contre sept cinquante pour l’Heineken et elle est aussi bonne.
 Le stade n’est pas très loin et dès la sortie du Holiday Park nous voyons au loin, les projecteurs éclairer l’enceinte illuminant le ciel d’un rouge incandescent annonciateur du combat à venir. Nous marchons au milieu de dizaines de supporters français dans une ambiance bon enfant où les chants se mêlent à l’enthousiasme général. Nous convergeons, telle une marée humaine vers le lieu sacrificiel qui verra la mise à mort du cousin canadien. Soudain, le tonnerre gronde, le ciel s’obscurcit, le vent souffle et en quelques secondes des trombes d’eau s’abattent sur nos têtes. Heureusement que nous arrivons, une rapide course et nous voilà à l’abri sous les tribunes. Nous avons eu tort de ne pas croire Jo Maso…
Une fois de plus, nous trouvons le service d’ordre particulièrement détendu, n’en rajoutant pas dans des fouilles inutiles et humiliantes et ne trouvant rien à redire sur notre cargaison de Tui ni sur ma caméra ou nos appareils photo embarqués.
Avec soulagement nous constatons que nos places sont en tribunes couvertes. Le McLean Park de Napier comme tous les stades vus auparavant est très beau avec un petit air de vacances tropicales. Un virage est libre de toute structure et la pelouse en pente douce permet aux spectateurs de s’assoir à l’ombre d’immenses palmiers. Pour ce soir les palmiers feront office de parapluies géants. Le reste est constitué d’une seule et immense tribune entourant la pelouse en forme de U pouvant contenir près de quinze mille personnes.
L’ambiance bonne enfant continue, tout n’est que rires, chants et sourires, le bonheur est dans le stade. Nous restons une bonne demi-heure sous les tribunes à humer l’atmosphère festive en nous fondant dans une foule heureuse d’être là.
Puis, nous nous installons à nos places en tribune tout en dégustant notre première bière. À nos côtés, deux jeunes mamies All-Blacks sont venues voir le match comme nous. Elles ont un petit verre de vin blanc à la main et nous saluent chaleureusement. Dans les stades néo-zélandais, le vin blanc ou rouge s’achète en petite bouteille de vingt centilitres. Derrière leur siège, par terre, six autres petites bouteilles de vin blanc ont été jetées. À l’évidence, les effets désinhibants du vin font effets. Elles parlent beaucoup et sont très gaies. Il faut croire que nos âges avancés ne peuvent plus être cachés et ce sont les vieilles dames qui nous draguent. Il est dur de vieillir même au pays des Kiwis, cela atteint moralement  Jean-Luc qui nous en reparlera longtemps après. Mourir la belle affaire, mais vieillir O vieillir !
La pluie n’a pas cessé de tomber quand enfin, les équipes entrent sur le terrain. Nous chantons la marseillaise en gonflant le poitrail fiers de nos coqs pour lesquels la confiance n’est nullement émoussée. Le match ressemble pourtant à celui auquel nous avons assisté contre le Japon. Nous jouons de façon poussive et inquiétante ayant beaucoup de mal à prendre le match à notre compte. Face à nous dans la tribune centrale, une magnifique banderole est déployée sur laquelle on peut lire : Les ganachoux de Mazamet sont là. Comme nous, un groupe d’une quinzaine de Mazamétains a fait le déplacement aux antipodes pour suivre le XV de France. Nous avions prévu de les rencontrer, finalement la rencontre n’aura pas lieu.
À la mi-temps, la pluie cesse enfin de tomber, nos tribunes se remplissent de supporters trempés venant se mettre à l’abri ou se sécher. Quatre jeunes canadiennes viennent chercher du réconfort et un peu de gaité à nos côtés. Tout à coup nous nous trouvons de nouveau très jeunes et Alain fidèle à ses habitudes amorce quelques pas de danse avec ces jeunes demoiselles au son de Michel Polnareff, ce qui les fait beaucoup rire.
Certains, dans le groupe, doutent à cet instant d’Alain. C’est mal le connaître, il a su montrer par le passé des qualités intrinsèques de bringueur, et a même le CAP, la plaisanterie avec les jeunes filles s’arrête là. Pour preuve, pendant cette mi-temps nous téléphonons à nos chères compagnes qui sont restées au pays grâce à notre téléphone collectif acheté quelques jours plus tôt. Elles organisent une retransmission collective à vingt mille kilomètres d’ici à la Peńa de la Moulinarié. Nous pouvons donc leur parler avec une seule communication pendant une heure pour le prix de deux euros. Nous nous faisons passer le téléphone de main en main pour que chacun puisse parler à sa tendre moitié. À chaque fois, un sourire discret éclaire le visage de l’intéressé malgré sa volonté de cacher cet instant de tendresse aux camarades.
La communication téléphonique se termine pour moi sous les tribunes, car le match a repris et avec les cris et la fureur des supporters je ne peux absolument pas converser au téléphone. Descendant sous les tribunes pour mieux entendre, je tombe nez à nez avec Marc Liévremont, l’entraineur de l’équipe de France sortant des vestiaires par une porte dérobée. Raccrochant, je remonte en tribune informer le groupe de ma rencontre fortuite. A la fin du match, il est entendu que nous serons derrière cette porte au cas où.
Les Français remportent finalement leur seconde victoire depuis le début du tournoi. Il a tout de même fallut attendre la soixante quatrième minute pour se mettre définitivement à l'abri avec l'essai de l'arrière Damien Traille, à ce moment de la partie la France ne menait que de six points : 25-19. Vincent Clerc scellant définitivement la victoire française en inscrivant deux essais dans les quatre dernières minutes offrant la victoire à l’équipe de France sur le score flatteur de 46 à 19.
En fin de match, les supporters français font savoir à leur équipe nationale que la manière, une fois de plus, n’y est pas, quelques sifflets accueillent les joueurs lors de leur tour d’honneur.
 Au bas de la tribune, comme prévu, derrière la lourde porte en bois surveillée par deux vigiles, il y a un va-et-vient incessant des grandes figures du rugby hexagonal. Puis un à un nous voyons sortir les joueurs. Nous restons devant cette porte plus d’une heure à échanger avec d’autres supporters, mais aussi avec des journalistes et des télévisions qui interviewent les joueurs. En authentiques supporters, nous prenons quelques photos en compagnie de quelques vieilles figures marquantes de l’histoire de l’ovalie.
Le rugby change c’est une évidence, mais plus que le jeu c’est la culture rugbystique qui change. Le rugby véhiculait comme valeur essentielle la vénération et le respect de l’ancien avec les anecdotes qui vont avec. Le rugby portait en lui les légendes et les mythes. Le légendaire ancien pouvait n’être connu que par la centaine d’habitants du village mais son exploit restait à jamais ancré dans l’Histoire du club.
Ce soir, sous les tribunes, à côté de nous, un petit bonhomme, discute avec une jeune journaliste, sans qu’un seul de la centaine des supporters présents ne le regarde, trop obsédés à avoir l’autographe d’une des vedettes actuelles de l’équipe de France. Ce petit bonhomme à un nom c’est Richard Astre l’ancien capitaine de la plus grande équipe de rugby français de tous les temps : Béziers. Plus personne ne le connait, nous lui ferons l’honneur d’aller le saluer. La dégénérescence footballistique s’abat sur le rugby, c’est un fait indéniable.
  Nous croisons aussi  Jean-Claude Skrela et Philippe Sella, grands parmi les grands anciens, qui nous font l’honneur d’échanger en toute humilité quelques commentaires sur le match de la soirée.
Vers vingt-trois heures, nous rentrons au camping, éreintés par cette belle et magique journée rugbystique. Chacun y allant de son analyse et de ses conclusions sur la suite de l’épreuve. Alain fait, comme à son habitude, preuve d’optimisme puisqu’il continue à voir l’équipe de France en finale.
Nous terminons cette journée par une dernière bière Tui conservée au frais dans le frigidaire du campervan et sans oublier bien évidemment la  petite partie de coinche, manière de nous remettre en phase avec le voyage.
La partie manque d’enthousiasme et les vaincus comme les vainqueurs semblent ailleurs. Je ne garde que peu de fierté de cette victoire à l’image de l’équipe de France me dis-je en me couchant avec le sourire tout de même, j’aime gagner….pas vous ?



                       Lundi 19  Septembre 2011
NAPIER-TAUPO

                        Le lac TAUPO
  
                Ce lundi, nous quittons à regret la Hawke’s Bay pour retourner dans le Waikato avec l’impression détestable de ne pas y avoir passé assez de temps et surtout d’avoir laissé de côté la Wine Country. Ne pas avoir visité de caves, les plus vieilles de Nouvelle-Zélande et de ne pas avoir véritablement pris le temps de déguster le large éventail de cépages produisant bon nombre des meilleurs vins du pays reste un grand regret, comme il est dommage de ne pas avoir profité de l’océan pacifique et des immenses plages pour pouvoir assouvir nos envies de footing, à ce sujet, Thierry est inconsolable. Cette région mérite à l’évidence plus de temps mais comme le dit Paolo Coelho ; qui a l’habitude de voyager sait qu’il arrive toujours un moment où il faut partir.
Notre périple continu donc par un retour sur nos traces puisque nous remontons sur le plateau central de l’île du Nord en direction du lac Taupo. La route que nous empruntons est la même que celle prise voici deux jours sur plus d’une centaine de kilomètres avant de bifurquer sur la gauche en direction du lac Taupo. Avant de quitter Napier pour de nouvelles aventures au pays du long nuage blanc, nous faisons le plein d’essence dans le centre-ville suivi de quelques achats alimentaires en prévision de la longue et froide journée qui s’annonce. Alain responsable du campervan est aux commandes et s’occupe de la pompe à essence pendant que Jean-Luc et moi-même allons faire les courses.
Thierry nous quitte quelques minutes, car ce matin ce sont ses lunettes de vue qui manquent à l’appel. Après avoir fouillé longuement le campervan, il va à la réception du camping, espérant que quelqu’un les auraient trouvé. Hélas pour lui ce n’est pas le cas, mais la réceptionniste, charmante, téléphone au commissariat, plus précisément aux objets trouvés et par chance, les lunettes semblent y avoir été retrouvées. Thierry  s’y rend donc.
Profitant de son absence dans le supermarché, nous décidons d’économiser sur les achats culinaires, car depuis quelques jours nous avons du mal à tenir l’objectif de quatre-vingt dollars néo-zélandais journalier que nous nous sommes fixés. Thierry en est en partie responsable car il peut avoir des réactions compulsives, quand il pénètre dans une grande surface, plus particulièrement dans les rayons alimentaires. Tout lui fait envie, il commence par la viande et achète, salades, conserves, fromage, viande vin bière etc.. tout fait ventre. On observe chez lui des troubles psychiques alimentaires inquiétant révélant à l’évidence une grande frustration en lien certainement avec sa vie familiale mais nous ne sommes pas spécialistes et nous gardons bien d’aborder le sujet avec lui si ce n’est en le taquinant.
En tout cas, son absence, nous permet donc de faire des achats raisonnés. L’ennui, c’est que les prix dans cette grande surface sont très mal indiqués et au moment où nous payons, il nous semble que l’addition est un peu salée. Après vérification dès notre retour dans le campervan il s’avère que Jean-Luc a mis dans notre chariot une bouteille de vin, cépage pinot noir  à vingt-trois dollars néo-zélandais, c’est-à-dire à plus de quinze euro sans le faire exprès. Du coup l’économie alimentaire réalisée s’est reportée sur le liquide et nous n’avons pas fait d’économie. Thierry pendant ce temps revient du commissariat l’œil noir ses lunettes restent définitivement à Napier.
Si nous repassons par la même route prise quarante-huit heures  plus tôt, cette fois-ci, nous nous arrêtons à l’aire de stationnement en haut d’un petit col pour voir un spectacle qui va s’avérer  grandiose. Tout juste indiqué en bord de route, ce qui en France serait marqué sur tous les guides touristiques comme une merveille de la nature, se trouvent les chutes de Waipunga qui sont visibles uniquement  depuis cette petite aire de repos sur la SH5.
Situé sur la rivière Waipunga,  pas très loin de la ville de Tarawera et en bordure de la route, les chutes sont de magnifiques chutes d'eau d'une bonne quarantaine de mètres de hauteur, fractionnée en trois parties parallèles, accompagnée d'une autre chute un peu plus à gauche, les Waiarua Falls.
Au cœur d'une forêt aride, primaire, broussailleuse et inaccessible  les chutes ne peuvent être observées que de ce belvédère, impossible d'avoir un autre point de vue, impossible d’entrer dans la végétation dense et vierge, dommage. En même temps le panorama est de toute beauté, c’est un spectacle à couper le souffle.
Après avoir pris quelques photos, nous reprenons la route, pour arriver au bord du lac Taupo aux environs de douze heures. Nous décidons de pique-niquer sur une grande aire aménagée en bordure du lac. Hélas, le temps, une fois de plus n’est pas notre allié et le ciel déverse des litres d’eau sur nos têtes en quelques secondes nous obligeant à nous réfugier à l’abri à l’intérieur du campervan. Nous en profitons pour nous sustenter tout en admirant une nouvelle merveille de la nature néo-zélandaise : Le lac Taupo.
 Alain profite du moment pour nous donner quelques cours d’anthropologie concernant le lien fantasmatique qui uni sexuellement le noir et la blonde. Le repas s’enlise verbalement mais heureusement la bouteille achetée le matin par Jean-Luc nous met tous d’accord. Pour la première fois, nous trouvons le vin d’excellente qualité. Nous sommes en présence d’un vin ressemblant à s’y méprendre à un bourgogne avec la typicité propre au pinot noir, des tanins souples et veloutés et d’une merveilleuse complexité aromatique. Notre budget ne nous permet pas d’en acheter tous les jours, mais nous avons maintenant une idée plus précise de la qualité possible des vins rouges néo-zélandais évitant de les jeter aux orties même si plus d’une fois je fus tenté de le faire.
Le lac Taupo est immense et ressemble à une petite mer. Le tour de l’île fait près de deux cents kilomètres pour une profondeur avoisinant les deux cents mètres dans sa partie la plus profonde, logé dans la caldera d’un super volcan ayant explosé il y a quelques milliers d’années. Au milieu des eaux, de grandes îles montagneuses dominent le lac. Les berges ressemblent à des falaises de bord de mer, déchirées par le vent  et entrecoupées de petites criques de sable  noir. Un fort  vent  balaye l’eau pour donner naissance à des petites vagues amplifiant l’impression d’être aux abords d’une véritable mer intérieure.
Ici, c’est la fin de l’hiver et non  le début du printemps, la température est inférieure à dix degrés. Un vent glacial souffle fort accentuant un peu plus la sensation de froid. La végétation démarre à peine et aucune fleur n’est encore visible, seuls les bourgeons indiquent l’arrivée prochaine du printemps.
Après ce déjeuner frugal qui nous a réchauffés, nous quittons l’aire de pique-nique en direction du village éponyme du lac qui se trouve à quelques kilomètres. La petite bourgade touristique est aussi en hivernation, il y a très peu de monde dans les rues et en bordure du lac, les nombreux parkings prévus pour les promeneurs sont vides et la plupart des hôtels et restaurants sont fermés. La ville recèle de nombreux parcs d’activités qui doivent  attirer quantité de touristes l’été. Pour l’heure tout est  fermé à l’exception d’un practice original. Il s’agit de putter des balles sur un promontoire en bordure du lac permettant d’envoyer la balle le plus loin possible dans le lac. Bien maigre activité qui fait la joie de trois touristes.
Pour la première fois, nous ressentons de l’exaspération devant cette météo pour le moins capricieuse. L’engouement des premiers jours fait place à un ras-le-bol généralisé surtout que la végétation et l’atmosphère qui règne dans cette région accentuent l’impression de froid et d’humidité. Il n’en faudra pas plus à Alain pour sombrer dans une aphasie rhumatismale lui imposant de se coucher à l’arrière du campervan, fixant d’un œil vitreux l’horizon à travers la fenêtre de son espace nocturne. Il s’assoupit une petite heure dans des spasmes fiévreux indiquant, à l’évidence, une montée importante de sa température corporelle. A son réveil, il accepte de prendre un doliprane malgré ses réticences à engrosser l’industrie pharmaceutique et P Fabre ce qui n’est pas le cas de Jean-Luc et Thierry car avec eux cette industrie a encore de beaux jours devant elle à moins que ce soit une cotisation déguisée au CO.
Si toutes les locations, hôtels et restaurants sont fermées à quelques exceptions près, les boutiques en centre-ville sont bien ouvertes aux quelques touristes venus pour la coupe du monde et qui se déplacent comme nous. Sur le parking central de la ville une cinquantaine de campervans sont garés, arborant chacun, les couleurs du pays que soutiennent les occupants. Cela témoigne une fois de plus de l’impact de la coupe du monde sur ce petit pays, car à l’évidence il n’y a que nous comme touristes, les autochtones ne sont pas là.
A proximité du centre se trouve le port et la marina accentuant toujours plus l’impression d’être en bord de mer. Des centaines de bateaux sont accostés aux pontons. La plupart sont bâchés indiquant que l’hiver n’est toujours pas terminé, même si une petite activité frémissante indique à contrario que le printemps arrive.
Nous nous garons devant le syndicat d’initiative de la ville et faisons le tour des nombreuses boutiques à touristes ouvertes pour l’occasion. Bien entendu le magasin central est à l’effigie des All-Blacks et propose de nombreux articles de sports et dérivés à des prix exorbitants. Un autre magasin présente quantité d’articles dérivés de la célèbre marque de bière locale: La Tui. De nombreuses enseignes vendent des articles de vêtements en lien avec la région allant de la promenade à la randonnée jusqu’aux articles de pêche.
Deux magasins sont spécialisés en pêche à la truite, ils sont remarquablement achalandés et proposent de nombreux articles, tout y est, des barques, des vêtements, des mouches en passant par les cannes et les moulinets, il est incontestable que la pêche au fouet est la pêche majeure.
La curiosité et le rêve de tenir au bout de la ligne une truite XXL m’amène à me renseigner auprès du vendeur. Il m’indique qu’il est possible de pêcher du bord du lac, mais qu’en cette saison et avec le temps qu’il fait il y a  peu de chance d’attraper quoi que ce soit à moins de bien connaitre, car certains bras du lac sont poissonneux en toute saison et par tout temps. Il m’explique dans un très bon français que c’est en bateau que l’on peut pêcher et qu’il est possible d’en louer un avec un guide pour une journée. Comme tout ce qui s’adresse aux  touristes en Nouvelle-Zélande, c’est très cher il faut compter cent trente dollars néo-zélandais soit quatre-vingt euros par personne. Au-delà du prix cela implique de rester un jour au bord de Taupo et donc de prendre un jour sur le programme pour pêcher. Pesant le pour et le contre, je me résigne à accepter l’inacceptable et à laisser de côté la pêche au lac Taupo source de nombreux rêves féériques en préparant le voyage. Combien de fois me suis-je réveillé avec une truite énorme au bout de la ligne ?
Nous continuons à nous promener de boutiques en boutiques et Thierry toujours pas rassasié trouve encore quelques tee-shirts à acheter. A vrai dire c’est une affaire, car ils ne sont pas chers et sympas nous explique-t-il.
 Nous allons ensuite dans un supermarché faire quelques courses en prévision du diner que nous prendrons au camping. Notre budget ne nous permet pas de manger au restaurant, il nous faut ralentir en termes de dépenses car le prix du carburant vient impacter considérablement notre budget quotidien. Pour changer un peu nous comptons manger dans les cuisines communes aménagées que l’on trouve dans tous les campings et sortir, pour une fois, le cul du campervan.
Pour la première fois nous achetons des moules aux lèvres vertes à l’étalage mais comme il est écrit que rien ne se fait de la même façon de ce côté de la terre, nos moules sont vendues dans un sac hermétique trempant dans de l’eau. Cela ressemble aux emballages des poissons d’aquariophilie achetés à la jardinerie. Quelques litres de vin blanc accompagnent notre repas et une sauce à la bière toute prête « spécials mussels » spécialement conseillée par notre aimable vendeuse vient compléter les achats.
 Ce fut plus difficile, en revanche pour trouver de l’alcool, du vrai, celui qui réchauffe. Nous avons longuement parcouru les rues de Taupo avant de trouver un magasin de liquors. Nous prenons le risque d’exploser notre budget journalier avec les conséquences que cela va avoir dans les prochains jours, mais l’humidité et le froid nous obligent à les affronter avec autre choses que des cachets dolipranes. Nous complétons nos achats par une petite gourmandise de viande séchée. C’est proprement immonde et immangeable mais tellement local.
Pendant que nous cherchons nos alcools, au recoin d’une  rue, nous croisons des français arborant fièrement un sweat-shirt du CO. Ils ne sont ni de Castres ni d’une commune limitrophe de la montagne noire, ce sont des gaillacois. Quel changement, il est désormais acquis  que le rugby moderne a emporté avec lui tout ce qui faisait l’authenticité de ce sport. Dans le temps, jamais un gaillacois, à l’autre bout du monde n’aurait soutenu le club de Castres, jamais, pas même celui de Graulhet. Un supporter soutenait son club, sa ville de père en fils aujourd’hui c’est devenu possible. Cette mutation inéluctable fait disparaitre la singularité du rugby qui était un sport culturellement lié aux éléments de la vie locale. C’était un mode de vie plus qu'un sport basique. Enfant d'Ovalie, je suis nostalgique et ma mémoire féconde réprouve toujours les dérives du nouveau système, ne se reconnaissant pas dans ce rugby affairiste qui n'est pas le mien. Mais la masse grandissante des nouveaux adeptes du ballon ovale aidée en cela par les grands patrons du CAC 40 et de la télévision en a décidé autrement. le professionnalisme est entré aussi dans le monde des supporters le 14 août 1995.
Disparu les populaires et les mains courantes place aux loges climatisées et aux soirées VIP. D'un côté ceux qui courent pour le rugby pro, le rugby spectacle, le rugby télégénique, le rugby d'élite, le rugbyman engrossé aux anabolisants et aux règles simplifiées où le contact est la finalité et de l’autre : nous. Nous qui courons encore pour un idéal, pour un rugby plaisir, pour un rugby éducatif, un rugby formateur, festif, école de la vie où le grand, le maigre le gros le moche a sa place. C'est l'extinction de l'apprentissage dans les écoles de rugby dès le plus jeune âge, du courage, de la vaillance, de l'altruisme, de la solidarité qui forgent les caractères et laissent une empreinte indélébile chez ceux qui, plus tard, « mouilleront le maillot », « sueront le sang » pour devenir des légendes, du Mongol au Duc Briviste, du Pépé du Quercy à Oualtère, du petit prince au  corsaire sans oublier le Blond et le docteur. Ce sont ces figures mythiques puisées dans les mémoires et le patrimoine d’ovalie qui ont nourri notre culture rugbystique, ce n’est pas Chabal et Bastareau. En 1823 Webb Ellis, ballon de football sous le bras, termina sa folle course par un plongeon historique derrière les buts, pour s'extirper du système footballistique, le rugby d’aujourd’hui y revient à grandes enjambées.
Revenons à nos quatre sympathiques supporters qui se retournent sur notre passage. Ils nous ont vu dans la dépêche quelques semaines auparavant et nous apostrophent en nous reconnaissent. Nous sommes désormais célèbres et des responsabilités nouvelles s’imposent à nous. Nous sommes les hauts représentants du Tarn à l’étranger. Nous prenons donc le temps d’échanger quelques banalités rugbystiques même si l’urgence est de nous approvisionner en liquide de réchauffement.
Les nombreux guides de voyage amenés dans nos bagages sont unanimes, le camping Debrett Spa Resort est ce qui se fait de mieux à Taupo. C’est donc en confiance que nous nous y rendons en fin d’après-midi.
 Le camping domine la ville avec une vue magnifique sur les volcans du Parc national du Tongariro dominant le lac. Adjacent au camping, se trouve les Hot springs spa, autrement dit des bains chauds avec une eau venant du centre de la terre. Rotorua n’est pas bien loin, ici aussi, de nombreuses curiosités géothermiques sont présentes. La ville est en partie chauffée par une usine récupérant les eaux chaudes.
 Croyant trouver à travers les bains sulfureux un nouveau remède contre le rhume mes trois compagnons de voyage vont s’y jeter. Les vertus médicinales de ce genre de lieu ne sont absolument pas avérées par contre l’aménagement ludique du lieu avec un immense toboggan permettant d’arriver à vive allure dans le bassin a des vertus rajeunissantes. Nos trois cinquantenaires jouent comme des enfants oubliant les affres du rhume et du temps pour quelques temps.
Pendant que certains jouent, je suis de corvée. Je cherche, en vain, à me connecter à internet en vue d’alimenter le site en photos et articles pour rassurer les familles restées au pays. Ces nouvelles technologies prennent beaucoup de temps et nous aliènent toujours un peu plus. Je passe ainsi près de deux heures à perdre mon temps.
De retour de leur escapade aquatique, mes compagnons sont revigorés et sont bien décidés à aller cuisiner et manger dans les cuisines collectives du camping. Nous prenons donc tout le matériel nécessaire pour nous y rendre mais rapidement l’euphorie nous quitte et la réalité reprend le dessus. Toutes les tables à l’intérieur des cuisines communes du camping sont prises d’assaut. Il pleut des cordes, seule une petite avancée couverte à l’extérieur du bâtiment et dotée de trois barbecues et de trois tables est libre. Nous nous installons là en plein vent et entre les gouttes pour préparer  des nouilles et nos moules vertes. Finalement, c’est dans le froid et la pluie que nous mangeons, nous ne pouvons même pas nous assoir les bancs sont trempés
À nos côté un groupe d’une douzaine de sud-africains font de même. L’observation attentive de leurs préparatifs nous montre combien chez eux aussi le culinaire est peu développée. Ils s’envoient bières sur bières tout en confectionnant des sandwichs faits de pain de mie avec des tomates et des cornichons baignant dans des mayonnaises et autres sauces anglo-saxonnes.
Sur le BBQ commun ils font cuire des espèces de morceaux de viande baignant eux aussi dans des sauces chimiques puantes. La musique vocifère dans un petit appareil stéréo du siècle dernier. Ils sont en chemises courtes et un noir de service les accompagne…Ils restent entre eux, nous restons entre nous il n’y aura pas d’échange.
 Le repas ne dure pas bien longtemps et nous allons rapidement  nous réchauffer dans notre campervan avec le petit chauffage d’appoint que nous laissons allumé toute la nuit tellement nous avons froid et c’est humide.
Respectant la tradition établie nous faisons notre petite coinche quotidienne et nous prenons une grosse déculottée, sous les quolibets d’Alain malgré son état de santé  chancelant. Eternuant et mouchant  sans arrêt, mais comme il peut à tout instant nous quitter, et passer de vie à trépas, nous ne prenons pas le risque de gagner ce soir-là.