carnet de voyage II

Mardi  20 Septembre 2011
TAUPO TURANGUI
 Rencontre avec les books
                          La nuit fut glaciale, le sommeil difficile à cause d’une humidité envahissante et des odeurs pestilentielles de mâles confinés dans huit mètres carrés. Le petit chauffage d’appoint a ronronné toute la nuit, nous sauvant d’une mort certaine…. Mais nous sommes toujours et plus que jamais en vie.
Par un beau soleil ressuscité et malgré une température proche du zéro, nous déjeunons à l’extérieur sur une table de camping. Nous sommes emmitouflés sous plusieurs polaires jalousant nos êtres proches restés en France qui croupissent, là-bas, sous la chaleur de l’été indien. Le froid a finalement raison de notre volonté de profiter des paysages exceptionnels qui nous sont proposés. Nous quittons rapidement notre petit camping et retraversons la ville de Taupo en direction des Huka Falls. C’est l’attraction du lieu et c’est la première visite prévue pour la journée.
 Ces chutes d’eau se situent à quelques kilomètres seulement de notre point de départ. Nous nous y rendons donc très rapidement en longeant la Waikato river à partir de l’exutoire du lac. C’est le plus long fleuve de Nouvelle-Zélande traversant l’île du nord sur quatre-cent-vingt-cinq kilomètres. Comme beaucoup de lieux géographiques dans ce pays, l’étymologie du nom vient de la langue maorie. Waikato se traduit par l'eau qui coule. Un grand parking accueille les visiteurs, quelques campervans sont là mais ce n’est pas la grande foule. Nous parcourons un sentier sur une centaine de mètres avant d’arriver sur une passerelle qui enjambe la rivière et la chute d’eau. En amont de la passerelle, la rivière Waikato, se déversant du lac Taupo se rétrécit dans un canyon étroit, passant d'environ cent mètres de large à seulement dix mètres entrainant pendant une centaine de mètres une rivière compressée cherchant à sortir de cette faille géologique. A la sortie du  canyon  une chute d'eau tombe sur environ dix mètres de hauteur dans un bouillonnement impressionnant. Les guides avancent que c’est l’équivalent de dix piscines olympiques qui se déversent toutes les minutes. Je vous laisse imaginer le mouvement… L’eau forme des millions de petites bulles donnant à l’eau une couleur oscillant entre le vert turquoise et un bleu cristallin, c’est magnifique.
Comme toute merveille de la nature, les kiwis exploitent la chose financièrement. Sous les chutes, à quelques kilomètres, il est possible pour une quinzaine de personnes de prendre place sur des jet boats. Ces engins sont propulsés par des turbines et peuvent atteindre plus de cent kilomètres heures en quelques secondes. Depuis leur embarcadère ils remontent la rivière jusqu’aux chutes tout en faisant de nombreuses figures, frôlant les falaises, zigzagant entre les obstacles, garantissant une importante montée d’adrénaline aux passagers. Une fois de plus nous décidons de ne pas faire le tour de manège vu le prix prohibitif demandé de cent dix dollars néo-zélandais soit soixante-quinze euros par personne.
Au hasard de la ballade, nous rencontrons quelques touristes français qui, comme nous, profitent de leur séjour pour visiter le pays. Le spectacle unique qui s’offre à nous ne meuble qu’une minute de discussion, rapidement Alain trouve le moyen d’échanger pour la dixième fois sur le sujet central de notre périple, à savoir : L’équipe de France le match contre le Canada est disséquée, autopsiée, pour la dixième fois.  Au diable les Huka Falls.
Après un petit tour dans un magasin de souvenirs en bordure du parking, nous quittons les chutes et reprenons notre campervan pour longer la Waikato river par une petite route champêtre sur une dizaine de kilomètres. Nous nous arrêtons à hauteur d’un parc d’attraction aquatique fermé. Seul un embarcadère d’où partent les jet boats que nous avons vu tout à l’heure sous les chutes d’eau est ouvert. Nous croisons quelques passagers descendant du bateau qui frissonnent car même si le soleil est là, la température extérieure ne doit pas dépasser dix degrés quant à celle de l’eau, elle ne doit pas indiquer plus malgré les veines sulfureuses d’eau chaude qui s’y déversent. Faut dire que les figures exécutées par les engins nautiques imposent la douche aux passagers, heureusement ceux-ci sont couverts par des ponchos prêtés généreusement par la compagnie, limitant ainsi les conséquences désagréables de la ballade aquatique en cette période.
Sur le parking, un magnifique bus officiel de la coupe du monde attire notre attention. En authentique paparazzi que nous sommes devenus nous nous approchons pour découvrir une équipe de télévision placée à proximité du véhicule, sur le ponton de l’embarcadère, attendant quelqu’un ou quelque chose avec une grosse caméra en batterie prête à filmer. Des sacs de sport sud-africains sont posés à même le sol à proximité. Nous sommes en présence de joueurs et du staff de l’équipe nationale d’Afrique du Sud, les Springboks.
Parfaitement rôdés, n’ayant plus aucune gêne nous attendons, postés à quelques mètres. Quelques minutes plus tard, nous voyons arriver un bateau avec une vingtaine de personnes à bord. Tout le monde s’active, filmant et interviewant les passagers à leur retour sur la terre ferme. Ce sont bien les Books et le staff, nous les abordons pour leur  demander de poser à nos côtés manière d’immortaliser l’instant. Peter de Villiers l’emblématique entraineur accepte très gentiment.
L’équipe légendaire des books vient passer une heure de détente à cet endroit et nous y sommes. Nous sommes bénis des dieux, car personne dans le groupe n’est dupe et ne croit aux coïncidences Einstein n’a-t-il pas dit: Les coïncidences, c'est ce que fais Dieu pour rester anonyme
Nous continuons la route sur quelques kilomètres et passons à proximité du Craters of the moon, et son système géothermique créé pour utiliser l’énergie thermale emmagasinée dans les entrailles de la terre avant de remonter vers le lac. Il est déjà onze heures trente, nous quittons définitivement la ville de Taupo pour nous rendre dans la petite ville de Turangui à l’autre extrémité du lac qui est la Mecque des pêcheurs de truite.
Longeant le lac, nous ne trouvons pas de lieu adéquat en bord de route pour déjeuner et pour admirer une dernière fois le lac Taupo. Impossible de trouver une aire de repos digne de ce nom. Finalement nous nous arrêtons  en bordure de route et de lac. Notre aire de stationnement ne dépasse pas les trois mètres de large et dix mètre de long. Coincés entre le lac et la route, notre campervan nous abrite des trente-cinq tonnes néo-zélandais qui nous frôlent à plus de cent kilomètres heure. Collés contre son flanc, nous profitons d’un petit rayon de soleil pour sortir la table et les chaises et déjeuner face au lac. Finalement nous ne sommes pas trop mal. Le repas terminé voir expédié vu les conditions nous repartons en continuant à longer le lac pendant une bonne dizaine de kilomètres. Nous constatons avec un peu d’amertume, dès le kilomètre suivant, que de nombreuses aires de stationnement idéalement situées et admirablement aménagées en bordure du lac nous attendaient si seulement nous avions roulés quelques kilomètres supplémentaires. Trop tard nous avons déjeuné….
Turangui est à l’image des autres petites villes décrites plus haut. Le centre urbain est condensé en une dizaine de commerces, tout au plus, entourant un grand centre commercial.  Il n’y a rien d’autre.
À l’entrée du village, en guise de bienvenue, une immense truite de trois mètres de hauteur est plantée de chaque côté de la route. Nous sommes à l’embouchure du lac où coule la légendaire Tongariro river qui fait saliver les pêcheurs de mouche du monde entier. En enjambant le pont nous remarquons quatre ou cinq pêcheurs. Nous remarquons  un petit camping spartiate à proximité de la rivière. Le prix est modique, nous décidons d’y passer la nuit, trouvant l’endroit fort agréable et tranquille. Il n’y a que  deux ou trois campervans occupé, quelques caravanes semblent  installées pour l'année, mais elles sont inoccupées en cette saison.
À nos côtés un couple relativement âgé a élu domicile dans un campervan qui semble posé définitivement là puisqu’ils ont une voiture pour se déplacer. La dame âgée d’environ soixante-dix ans est  affairée à préparer les lignes à l’extérieur du véhicule pendant que son mari monte les mouches à l’intérieur. Ils se préparent pour le coup du soir. Charmants, nous échangeons sur la pêche locale. Ils nous mettent en garde sur la surveillance importante de la rivière par les gardes imposant de prendre une carte de pêche à la journée à minima. Le prix est de dix-sept dollars néo-zélandais, ce qui reste une somme toute à fait  correcte comparée à la France.
Pour nous, hélas, il est déjà trop tard pour faire le coup du soir, puisqu’en arrivant à seize heures, le temps de nous installer au camping et d’acheter les denrées pour le dîner il nous est impossible de trouver un magasin ouvert pour prendre la carte de pêche. Je ne peux donc pas me munir du précieux sésame m’ouvrant l’accès à la mythique river pour pouvoir enfin lancer la ligne. Les regrets sont atténués par le temps qui n’incite guère à aller taquiner la truite avec un fouet, un vent violent s’est levé et jeter la mouche doit être ardu avec ce temps.
Cette impression est confirmée par l’observation attentive des quatre irréductibles pêcheurs que nous allons voir sous le pont. Ils ont beaucoup de mal à lancer leurs mouches, néanmoins, en moins d’un  quart d’heure, ils sortent  trois truites de l’eau d’une taille variant de trente à quarante centimètres, ce qui nous laisse rêveurs quant à la densité des ressources halieutiques de la rivière.
 Ici, la maille c’est quarante centimètres, chez nous c’est vingt, autant dire que nous ne pêchons pas dans la même catégorie. La technique de pêche à la mouche utilisée est de type nymphe coulée, pas forcément impressionnant d’un point de vue technique, sans forfanterie aucune je pense que j’aurai pu avoir ma place à leurs côtés. En effet nos moucheurs néo-zélandais ne s’embarrassent  pas de nos détails de puristes. Ils utilisent  deux nymphes largement plombées, et se servent d’un gros pompon fluorescent pour repérer la prise. Je n'ose imaginer la réaction de quelque uns de nos esthètes moucheurs s’ils s’étaient trouvés devant un tel déploiement d’artillerie lourde.
Bref il y a du poisson et ils en sortent bien plus que nous, ils sont donc dans le vrai. Le rêve de pêcher dans la Tongariro river s’estompe progressivement, il me faut me rendre à l’évidence, ce ne sera pas pour cette fois.
Retournant au camping, nous prenons conscience que pour la première fois nous sommes bien seuls. Un seul camping-car stationne à nos côtés avec un couple de français à l’intérieur. La coupe du monde semble très loin.
Après avoir fait nos courses et une petite lessive car les vêtements propres commencent à manquer, nous préparons le dîner dans les cuisines collectives du camping et étendons le linge à l’extérieur profitant du vent pour le faire sécher rapidement. Les épingles à linge néozélandaises sont curieuses mais bien pratiques. Pas de ressort mais uniquement un pincement fait de deux branches en plastique permettant de coincer  le linge sur le fil. L’ethnologie n’a pas de limites.
 Nous dînons ce soir-là à l’extérieur puisque nous prenons le repas dans le lounge du camping à la décoration surannée et terriblement british. Quitter notre campervan pour manger dans ce salon ne nous change guère de nos habitudes  puisque nous sommes seuls et que nous sommes sûrs de ne rencontrer personne. Seul Thierry, victime d’une baisse de concentration fatale au poker menteur pendant l’apéritif, rencontre nos voisins dans les cuisines par deux fois en préparant le repas mais aussi en faisant la vaisselle. Il y a des parties de cartes qu’il faut savoir ne pas perdre.
Avec le temps, nous avons pris l’habitude de rester entre nous. Contrairement à ce que nous pensions cet entre soi se renforce avec les jours et les tensions inéluctables n’altèrent en rien ce besoin. Loin des terres natales, l’amitié a souvent pour fonction d’être le cordon ombilical nécessaire à avoir l’impression d’être toujours chez soi. C’est sécurisant et cela nous rassure probablement, car comme tous les voyageurs nous sommes inconsciemment fragilisés par l’éloignement du domicile et des amis. Nous y laissons certainement des rencontres de voyage.
   Pour une fois nous avons un peu de confort pour passer la soirée. Avachis dans des fauteuils d’un autre siècle, nous dinons sur la table de salon du Lounge avec d’inévitables morceaux de barbaque toujours aussi tendres. Jamais rassasiés, nous prolongeons consciencieusement notre dégustation de vin de pays avant d’attaquer l’incontournable coinche du soir le temps pour Thierry de faire la vaisselle. Le froid arrive vite et nous oblige à installer le chauffage d’appoint du campervan dans l’espace confit.
Beaucoup de rires et de raisonnements accompagnent cette soirée, nous ne sommes pas raisonnables, heureusement que nous sommes seuls. Une fois de plus nous prenons une véritable déculottée sous les rires caustiques propres aux supporters du pharmacien tarnais. Nous avons tout essayé mais rien n’y fit ils nous ont mis la branlée et c’est insupportable. Heureusement que le cidre et le gin tonic atténuent la terrible réalité. Notre défaillance trouve certainement sa source dans notre incapacité à rester lucide après avoir bu contrairement à nos adversaires qui semblent beaucoup plus aptes à supporter l'alcool.
Nous nous couchons tard ce soir et avec la migraine. Demain nous avons l’Alpine Crossing, ce n’est pas la meilleure façon de la préparer, mais le mal est fait

                    Mercredi 21 Septembre 2011
                               Turangui-Wanganui


L’Alpine Crossing

Mais aussi la Whanganui river
  
                 Malgré une préparation quelque peu perturbée par la soirée agitée de la veille, nous nous levons de bonne heure prêts à affronter les terres du milieu et la montagne du destin dans le Mordor. Depuis deux jours, les nuits sont très froides et humides, heureusement notre précieux petit appareil de chauffage nous aide à supporter cette nouvelle épreuve. En cette matinée, la météo est enfin avec nous. Certes, le vent est toujours très présent et le froid vif et sec nous rappelle que nous sommes sur le plateau central de l’île du Nord, la température ne doit pas dépasser cinq degrés, mais le ciel s’est paré d’un magnifique bleu azuré et aucun nuage ne vient gâcher notre plaisir de voir enfin un soleil illuminer la nature néo-zélandaise. Nous Déjeunons au frais sur des tables installées à l’extérieur échangeant avec nos uniques voisins qui sont français.
Bien plus habiles en maniement informatique que nous, ils nous chargent un petit logiciel sur notre pc qui va nous faciliter la vie pour la fin du voyage. Nous pouvons maintenant déposer plusieurs photos sur le blog sans y passer des heures, c’est  un logiciel de réduction des formats des photos qui évite d’attendre plusieurs minutes chaque fois que nous mettons une photo sur le blog. La veille ils ont fait la marche que nous devons faire ce jour. Ils nous mettent l’eau à la bouche. Le déjeuner terminé, le linge, lavé la veille, rangé dans nos placards respectifs  nous sommes prêts pour l’Alpine Crossing. 
Le parc national du Tongariro est un ensemble volcanique  abritant trois volcans dont deux sont toujours en activité. Le mont Tongariro 1967 mètres, le Mt Ngauruhoe à 2287 mètres et enfin le plus haut, le mont Ruapehu  culminant à 2797 mètres. L’Alpine  crossing  traverse cet ensemble volcanique est passe à proximité des trois sommets. C’est la randonnée la plus célèbre de nouvelle Zélande, elle est classée parmi les plus beaux treks du monde et bien entendu classé au patrimoine mondial de l’UNESCO.
Situé à quelques kilomètres du lac Taupo, nous prenons notre véhicule pour nous y rendre. L’approche est visuellement magique et ne ressemble à rien de ce que nous avons vu jusqu’à présent. Face à nous trois sommets enneigés, dominés par les deux cônes parfaits du Ngauruhoe et celui du Tongariro abandonnant des fumeroles dans un ciel toujours parfaitement bleu. Nettement plus accidenté et plus à l’écart, le cône du Ruapehu domine à près de trois milles mètres.
Nous roulons une trentaine de kilomètres sur le plateau central traversé par la State Highway 47, tout en  contournant le somptueux panorama proposé par les trois volcans. Nos appareils photos sont mis à contribution, nous ne voulons rien perdre de ce décor de cinéma. Rarement cette expression ne fut utilisée à si bon escient. Progressivement la végétation se fait plus aride et les forêts laissaient place à une sorte de steppe composée de plantes inconnues de nous européens.
Nous quittons la route pour emprunter une piste gravillonneuse, mais praticable sur environ quatre ou cinq kilomètres. Nous nous garons sur un parking au milieu de la steppe désertique, dans la Vallée du  Mangatepopo à près de mille deux cents mètres d’altitude.
Le beau temps s’est installé, nous sommes en confiance et refusons de prendre des vêtements superflus dans nos sacs à dos, persuadés que le beau temps va nous accompagner toute la journée. Nous démarrons l’Alpine Tongariro crossing.
Sur les premiers kilomètres, le chemin longe un ruisseau en pente douce permettant de commencer en douceur et de chauffer nos muscles de quinquagénaires. Nous marchons longtemps au milieu d’immenses étendues de landes squelettiques et d’espaces vierges séparant les massifs du Mt Ngauruhoe et du Mt Tongariro. Les bords du chemin sont couverts des restes de coulées de lave, seules quelques plantes arrivent à pousser parmi des rochers aux formes difformes et saillantes. La couleur de la roche est d’un noir profond donnant l’impression que la lave a cessé de couler depuis peu. La réalité à l’échelle de l’humanité n’est pas loin puisque les dernières coulées de lave remontent à 1996. Un paysage de désolation, lugubre s’ouvre à nous, nous sommes dans  le Mordor.
Nous marchons ainsi pendant plus d’une heure. Le chemin est très facile et parfaitement balisé, il suit toujours le petit ruisseau qui descend des pentes du volcan. L’eau coule entre  les pierres  colorées de rouge et de jaune  indiquant qu’elle contient des minerais et des substances chimiques empêchant toute forme de vie aquatique et interdisant, surtout, de la boire malgré son aspect cristallin.
Faute de trésor, nous trouvons sur le chemin une petite trousse de toilette tombée certainement d’un sac de marcheurs qui doivent nous précéder. Alain ramasse l’objet et l’emporte dans son sac persuadé qu’il retrouvera son propriétaire. L’ascension continue et l’altitude s’élevant, la neige fait son apparition. Le chemin reste parfaitement balisé, mais la roche volcanique se faisant toujours plus présente, le sol n’est plus constitué que d’un amas de pierres volumineuses nullement érodées par le temps et des marécages. Il n’y a plus de sentier, la terre a disparu. Le Department of Conservation a donc posé de longues passerelles de bois posées sur pilotis à plus de cinquante centimètres du sol nous permettant d’avancer plus facilement au milieu de cette nature hostile et difficilement accessible.
La neige ce fait plus présente, la marche prend des allures hivernales, ce qui complique quelque peu notre ascension puisque nous sommes en tenue printanière et en baskets de randonnées. Nous arrivons enfin dans un cirque au pied du col au nom évocateur de Soda Springs.
Une trentaine de touristes encadrés par un guide chaussent leurs crampons et prennent leurs piolets en main avant de commencer l’ascension proprement dite. Nous allons à leur rencontre et Alain a droit à des remerciements et des applaudissements nourris quand, fendant la foule, il brandit le trésor trouvé plus bas. Une jeune fille toute émue récupère son bien, gémissant : mon précieux.
Nous faisons nous aussi une halte à cet endroit, où à proximité deux WC en dur sont construits en pleine nature évitant ainsi de la souiller. Les kiwis ont un sens de l’hygiène et de la préservation de la nature impressionnant. N’oublions pas que c’est leur trésor.
Suivant  les pas de Froddon et de Sam  dans ce décor lunaire, nous attaquons l'ascension du volcan Ngauruhoe c'est-à-dire la Montagne du Destin, là ou Froddon jette l'anneau. La pente se fait plus abrupte, à tel point que des passages sont aménagés en escalier en bois. Dans un premier temps nous montons les devil’s staircase (l’escalier du diable) et ses trois-cent-soixante-dix  marches au  dénivelé très important mais sans être vraiment certain de pouvoir continuer très longtemps. Thierry et Alain, hardis veulent continuer coûte que coûte, Jean-Luc et moi, sommes plus circonspects, quant à notre capacité de ne pas faire une grosse connerie si nous allons trop loin.
Le groupe qui nous précède, encadré toujours par des guides, est équipé de piolets et de crampons, nous sommes en tee-shirt en short et en baskets. Notre ascension continuera environ une demi-heure avant de s’arrêter à quelques centaines de mètres du col du red Crater au pied du mont Ngauruhoe. La neige est trop présente et sur certaines parties la glace rend l’ascension risquée. Après deux heures de marche nous sommes obligés de faire demi-tour. Nous profitons de l’instant pour nous poser un long moment et admirer le paysage somptueux qui s’offre à nous.
Alain, aux ambitions prométhéennes, ne veut pas s’avouer vaincu et continue sur quelques centaines de mètre. Il trouve deux jeunes coréennes de Séoul en perdition. Elles ont voulu continuer l’ascension, un peu plus loin que nous et en chaussures Convers. Elles sont bloquées, elles ont froids et tremblent de peur, car à chaque pas dans la neige elles glissent, risquant de culbuter dans le vide. Alain en frensh guide, les rassure et les ramène à nous. Nous mettons rapidement en place un plan ORSEC et les ramenons à Soda Springs au bas de la pente sans encombre. Elles nous remercient longuement et immortalisent l’instant en prenant quantités de photos de leurs sauveteurs.
Nous voulons piqueniquer mais un vent violent s’engouffre dans le cirque de Soda Springs nous obligeant à descendre plus bas pour nous mettre à l’abri. Au bord du ruisseau, nous trouvons un coin abrité pour déjeuner.
Nous croquons à pleine dents dans nos sandwichs au fromage et au jambon quand tout à coup, Jean-Luc voit sa dent du fond, artificielle, rester plantée dans le morceau de pain. Magnifique plombage intégralement décollé de la gencive, laissant apparaitre un trou béant, Jean-Luc équanime en fait à peine cas, rangeant sa dent dans sa poche.
L’immobilité accentue le froid, le vent semble forcir, il faut y aller puisque nous n’avons même pas de vin pour nous réchauffer et ce n’est pas le fond de cuve du terrible breuvage acheté quelques jours plus tôt le « smooth red wine » qui va y arriver. C’est un liquide issu du croisement de jus de raisin et de vin au taux d’alcoolémie de 5%. Dans tous les supermarchés cela est en vente et est un peu moins cher que le vin. Vendu en bag-in-box nous en avons acheté un et jurés, mais un peu tard, que l’on ne nous y prendrait plus. En une semaine nous en avons bu deux litres sur les trois qu’il contient. Thierry et Jean-Luc voulaient jeter le reste, mais Alain, élevé à la ferme, s’y refuse et a pris dans son sac à dos le breuvage se disant que tout là-haut faute de grive nous le boirons. Hé bien non même là-haut nous ne pouvons le boire, discrètement le smooth red wine termine sa vie dans la nature. Nous repartons au pas de course pour nous réchauffer et pour donner un peu de piment à la descente. Thierry a quelques difficultés à suivre le rythme, le repas semble lui peser au moins autant que le manque d'entrainement.
Il est aux environs de quatorze heures quand nous arrivons au parking d’où nous sommes partis quatre heures plus tôt. Vu l’heure, nous prenons la décision de prendre un peu d’avance sur notre plan de voyage et de ne pas revenir dormir à Turangi comme il était prévu. Direction Whanganui et non Wanganui comme cela est écrit sur notre carte routière.
Alain, grâce à ses connaissances onomastiques, nous explique toute la subtilité du Wha et du Wa démontrant à l’évidence que le rapport de force entre le peuple maori et le colonialiste anglais est toujours d’actualité. Whangarui veut dire « le grand port » en maori, si on supprime le h cela ne veut plus rien dire. La lutte des classes aux antipodes aussi reste d’une réalité intangible. L’objectif restant à terme de faire disparaitre toute trace de la culture maori.
Direction Raetihi sur la SH4, en longeant le parc naturel du Tongariro. Nous observons pour la dernière fois le mont Ruapehu, point culminant de l'île du Nord avec ses 2 797 mètres d'altitude, crachant quelques fumeroles. A ses pieds, nous devinons quelques bâtiments et télésièges. C’est  la plus grande station de ski de l’île du Nord dotée d’un immense hôtel panoramique ressemblant à l’hôtel du film Shining
Progressivement, nous quittons le plateau central pour redescendre vers la mer Tasman. La steppe du plateau fait place au bush et à sa végétation luxuriante, nous offrant même quelques spécimens de Kauris majestueux. La SH4 longe la voie du chemin de fer, mythique, de l’Overlander. Nous nous arrêtons quelques minutes sur une aire de repos pour admirer un des plus beau viaduc du pays: Le Makatote  qui enjambe la rivière Manganui. D’une structure d'acier posée sur chevalets, il mesure près de trois cents mètres de long pour une hauteur de quatre-vingt mètres, il est âgé de plus de cent ans et rappelle l’époque des pionniers.
 Au bout d’une heure de route nous arrivons à Raetihi qui est un village du bout du monde où le temps semble s’être arrêté il y a un siècle. Nous sommes véritablement au Far-West ; Deux rues principales à l’équerre de quatre à cinq cents mètres chacune où défilent Bank, saloon et autres commerces construits en bois au début du XXème siècle. On se croirait dans un décor de cinéma, la route est défoncée et ressemble à une piste. La ville est en pleine crise économique, cela se voit instantanément. Un important centre industriel tourné vers le bois a fait jadis, de Raetihi, une ville de pionniers. Le chemin de fer s’y arrêtait pour charger les grumes de Kauris en direction du port de Whanganui. Il ne reste plus rien de ce passé. La ville est morte, quelques jeunes visiblement alcoolisés et désœuvrés errent dans les rues. Jean-Luc est sur ses gardes et dégaine à chaque coin de rue, à l’évidence il n’est pas rassuré.
Il est encore tôt, nous décidons donc de continuer notre route en direction du village de Pipiriki distant d’une trentaine de kilomètres. Nous espérons trouver une aire de stationnement qui nous permette de passer la nuit en bordure du fleuve. En prévisions, nous faisons donc quelques courses alimentaires dans l’épicerie locale. A l’image de la ville, un vieux et minable petit supermarché nous ouvre ses portes. Le choix est restreint, nous nous contentons d’acheter des steaks hachés XXL et quelques oignons pour faire des Keftas en prévision d’une soirée au bord de l’eau perdus dans le parc national du Whanganui. Nous achetons deux petites bouteilles de vin rouge pour ne pas mourir de soif.
Une fois de plus Alain s’exerce au maori et fait rire longuement et à pleines dents les deux caissières. En  quittant le commerce il leur lance son désormais célèbre E noho ra  qui veut dire au revoir et qui n’est prononcé que par celui qui part. On peut imaginer la scène à l’envers et  se représenter un néo-zélandais venant dans un petit village du sud de la France disant adessiatz  en sortant de l’épicerie. Alain est très déçu que ses efforts ne soient pas salués à la hauteur de l’investissement qu’il y met.
Nous quittons la SH4 pour prendre notre première  route départementale en direction de Pipiriki. Nous nous engageons au plus profond de la réserve naturelle du parc national de Whanganui traversé par le fleuve Whanganui qui atteint la mer Tasman et son embouchure dans la ville de Whanganui. Au moins ils ne s’emmerdent pas avec les noms des lieux.
Dès les premiers kilomètres nous comprenons que la départementale nous menant à Pipiriki est plus proche de la piste que de la nationale. Les kilomètres s’égrènent à allure très modérée et nous laissent le temps d’admirer les paysages, la flore et la faune du Whanganui national Park. Le bush est totalement sauvage, pour la première fois nous ne voyons aucune trace d’élevage, l’homme est absent. La forêt primaire est notre unique décor sur plus de trente kilomètres. Nous mettons plus d’une heure à la traverser. Nous atteignons Pipiriki en fin d’après-midi. Le village, annoncé par tous nos guides comme le point de départ des innombrables excursions touristiques sur la rivière Whanganui (canoë, jet boat…) ne ressemble pas au Vallon pont d’arc néo-zélandais que nous avions imaginé. Le lieu est envoutant et rappelle le village du film délivrance, seul l’enfant au banjo est absent. Le village  se compose d’une trentaine de maisons, donc d’une centaine  d’habitants et deux cahutes ressemblant à des échoppes où il semble possible de boire un coup et de louer un canoë en saison. En cette période tout est fermé et le village semble mort, nous ne voyons personne, une certaine angoisse gagne le collectif, nous sommes quatre, qui sera celui qui couinera comme un porc ? Nous ne nous arrêtons pas, et sans mot dire nous continuons la route en longeant le fleuve, espérant trouver une petite aire d’accueil pour passer la nuit en bordure du fleuve.
La route mal goudronnée laisse place à une authentique piste qui longe le fleuve, à distance puisque nous le surplombons d’une bonne centaine de mètres sur certaines portions et ce pendant plus de cinquante kilomètres. La route ne s’en approche que très rarement mais le paysage est splendide, la forêt primaire borde le fleuve de chaque côté, de temps à autre une prairie où paissent des moutons apparait. Le fort courant du fleuve charrie une boue donnant à l’eau une importante turbidité de couleur ocre, son cours méandreux serpente à travers la forêt, nous nous imaginons en Amazonie
Aucune autre route, aucun carrefour, pas une voiture croisée ou doublée, un seul chemin, le nôtre, de temps à autres des ruisseaux qui se jettent dans le fleuve et viennent grossir les flots. Des paons et des chèvres sauvages croisent quelques fois notre chemin, beaucoup de chants d’oiseaux, aucune maison, aucune voiture, personne, c’est désespérément sauvage et beau.

Nous mettons deux heures à effectuer ce trajet. Sur la fin, la route se rapproche du fleuve et nous croisons trois ou quatre villages d’une centaine d’habitants. Ces villages sont pour certains d’anciennes missions du temps de la conquête de la Nouvelle-Zélande et portent des noms magiques pour le lieu. C’est ainsi que nous traversons, Jérusalem, London et Aténa. La missionnaire qui la première a cherché à porter la parole évangélique a droit à un petit monastère, c’est une française : Suzanne Aubert  plus connue sous le nom de mère Mary Joseph. Il est écrit qu’elle est venue ici à l'invitation du peuple maori en 1883 et qu’elle a fondé la communauté des sœurs de la Compassion officiellement reconnus par l'Église catholique en 1892, comme c’est bien écrit ! Ces villages semblent avoir malgré tout conservé une forte identité maori, nous observons d’importants Marae trônant aux centres de village, ce syncrétisme culturel semble perdurer encore aujourd’hui puisqu’il y a toujours  des sœurs qui vivent ici. Nous n’allons pas à leur rencontre les risque est trop important, cela fait maintenant près de deux semaines que nous avons quitté nos compagnes
Vers dix-huit heures nous retrouvons la SH5, enfin une route goudronnée, nous permettant de rouler à une allure convenable. La route longe toujours le fleuve jusqu’au port de Whanganui pendant près de vingt kilomètres. Le fleuve est assagit et sur les berges nous retrouvons de belles propriétés aménagées au milieu d’immenses prairies ou paissent des milliers de bovidés. Nous arrivons vers dix-neuf heures dans un magnifique Holiday Park situé lui aussi en bordure du fleuve. La nuit est tombée sur la Nouvelle-Zélande, la centaine de kilomètres prévus en deux heures aura finalement pris plus de quatre heures.
Le camping est très joli et très agréable, il est bien aménagé possédant même des bains chauds et de grands salons  pouvant nous permettre de voir les rencontres de la coupe du monde qui se jouent aujourd’hui. Dans l’un d’eux, nous regardons le match de rugby Tonga-Japon qui voit l’équipe du Tonga gagner son premier match 31 à 18 contre le Japon.
Pendant que mes amis sont afférés à différentes activités rendues obligatoires, vu l’heure, je prépare dans l’immense cuisine du camping, dotée de cinq fourneaux  le repas du soir. Plusieurs personnes cuisinent et échangent sur les différents plats qui mijotent. Mon voisin de fourneaux se permet d’interroger le cuisiner français que je suis, sur l’art culinaire de mon pays. C’est ainsi,  tout français qui cuisine est aux yeux de l’étranger un Vatel en puissance. Ce soir-là, la honte m’envahie car je cuisine piteusement la viande hachée et les oignons dans une poêle qui accroche affreusement.
La rencontre s’avère être, pour le moins,  incongrue et fort passionnante. Mon voisin n’est autre qu’un Portugais,  ancien international de rugby dans son pays, qui parle très bien français. Féru de rugby, il connait tout, les compositions d’équipe et le lieu où joue tel ou tel joueur, c’est un passionné. Question cuisine il fait mijoter un plat typiquement portugais, à base de poisson que j’échangerai bien volontiers avec mon plat.
Il me raconte son séjour, il vient de passer dix jours dans l’île du sud et me dit combien c’est beau. Il a vu toutes sortes de mammifères marins,  dauphins, phoques et baleines sans oublier sa rencontre avec l’animal mythique néo-zélandais : Le kiwi. Il m’explique enfin qu’il suit la coupe du monde sur sa totalité soit sept semaines en compagnie de sa femme qui semble légèrement s’ennuyer tout de même. Pour la remercier de l’avoir accompagné, il l’amènera passer une semaine en Malaisie à la fin de la coupe du monde. Si la crise touche le Portugal il semble que certains portugais en soient exonérés celui-ci, à l’évidence,  en fait partie..
Je rejoins le campervan retrouver mes amis et leur offrir des Keftas plutôt ratés et bien fades mais personne ne trouve rien à redire, la faim l’emporte. 
L’essentiel de notre conversation, ce soir-là, tourne autour des magnifiques paysages que nous avons vus ce jour. Notre émerveillement et les qualificatifs employés sont inversement proportionnels à la hauteur du niveau des bouteilles de vin que nous rangeons consciencieusement et mécaniquement. Nous clôturons la discussion  en faisant le constat que pour la première fois nous n’avons pas eu la pluie de la journée et qu’il a même fait très beau. Nous en sommes même à nous interroger sur les causes pouvant expliquer que notre teint facial vire au rouge. Ce soir c’est le soleil ?
En soirée, nous reprenons nos activités nocturnes habituelles dans notre campervan. La coinche est extrêmement disputée et la fatigue le soleil et le reste nous entrainent dans de rudes joutes oratoires qui s’enveniment légèrement.  Le voisinage ne dit rien mais doit-nous maudire et être inquiet.
           Imperceptiblement notre équipe se fissure, nous prenons un énième branlée, ce soir la tension est palpable.

Jeudi 22 septembre
Whangarui-Wellington
    La capitale

               Aujourd’hui cap sur la capitale administrative du pays : Wellington, c’est notre dernière étape sur l’île du Nord.
Même si Alain va mieux ses nuits restent inconfortables, il continue à se moucher et a du mal à respirer mais ce matin ce n’est pas le rhume qui l’empêche de dormir mais le doux ronflement de son compagnon de chambrée. Se levant aux aurores en maugréant il invective son compagnon le traitant de quelques noms d’oiseaux avant d’enfiler un pantalon et une polaire. J’en peux plus comment fait-elle pour le supporter… sont ses dernières paroles en quittant le nid et en claquant la porte. Thierry ne lui en tient pas rigueur puisqu’il continue à ronfler. Alain part s’oxygéner le long du fleuve au soleil levant.
Quelques instants plus tard, un grand soleil éclaire la colline, la journée s’annonce de nouveau très belle, il n’y a pas un nuage à l’horizon, nous en profitons pour aller à notre tour flâner dans le camping et sur les bords du fleuve à la recherche d’Alain. Il semble être apaisé au contact de la nature et accepte de revenir au domicile. De retour au campervan nous découvrons de nombreux oiseaux réclamant avec insistance leur pitance, les canards n’hésitent pas à grimper dans le campervan pour dénicher un morceau de pain au cas où.
Nous déjeunons après avoir fait la paix des braves, l’humiliation de la veille aux cartes et les rires caustiques d’Alain à l’attention de Thierry sont oubliés. À cet instant précis j’ai le sentiment que Thierry m’impute la responsabilité de la défaite, j’ai beau lui rappeler que c’est lui qui s’est fait coincher en prenant à cent-vingt à carreaux avec un valet et un roi, rien n’y fait, j’aurai dû comprendre qu’il avait les as. Je suis déçu par son attitude et son manque de courage face à Alain qui glousse comme un dindon.
Le soleil réveille la lavandière qui dort en nous et nous faisons nos petites lessives dans la buanderie du camping, le soleil finissant de faire sécher le linge propre. Même si nous nous délestons d’une partie de notre garde-robe en chemin, nous sommes obligés de temps à autres de laver quelques vêtements et plus particulièrement les vêtements chauds que nous utilisons très souvent. N’ayant toujours pas digéré la mauvaise foi de mon partenaire je quitte d'un œil marri le groupe pour aller observer une magnifique volière à proximité.
Ce matin encore nous partons relativement tôt afin d’être à Wellington de bonne heure, nous laissons cette région sauvage avec beaucoup de regret et avons une pensée pour Chris Masoé capitaine du CO qui a commencé à jouer au rugby dans cette province.
La capitale est distante de deux cents kilomètres, en partant vers dix heures nous pouvons espérer déjeuner aux abords de la ville. Nous prenons la SH3 en direction de Palmerston North que nous laissons au bout d’une cinquantaine de kilomètres pour suivre la SH1 qui longe la mer Tasman jusqu’à Wellington. La route traverse de nombreuses stations balnéaires sortant de l’hiver austral. Nous voyons peu de monde et beaucoup de commerces sont encore fermés. Nous profitons du lieu pour stopper notre campervan devant l’immense plage d’Otaki Beach magnifiquement déserte. Au loin les vagues déferlent laissant des rouleaux turbides venir s’échouer sur la plage grise où de nombreux morceaux de bois, polis par les marées et le sable jonchent la plage. Je ramasse divers petits bois flottés aux formes étranges en guise de souvenir, pendant que Thierry déguste un coquillage déposé par la mer.
Le temps s’écoule, nous reprenons donc la route cherchant un restaurant pour déjeuner. Après moult hésitations nous optons pour un restaurant de routier en bord de route à une vingtaine de kilomètres de Wellington à Waikanae.
C’est un bar restaurant très sympathique, proposant des plats combinés à des prix modiques. A l’évidence c’est le café des sports du coin, toute la décoration est tournée vers le sport et plus particulièrement le rugby, bien entendu de nombreux posters à l’effigie des joueurs blacks ornent les murs. Dans une pièce voisine, un PMU néo-zélandais attire quelques chalands espérant, comme partout dans le monde, devenir riches, plus loin, un véritable micro casino est pourvu d’une dizaine de bandits-manchots permettant à la maigre clientèle d’abandonner leurs derniers dollars oubliés au fond des poches.
Attablés, nous commandons, pendant qu’un jeune maori vient échanger quelques mots avec nous. Il nous offre à boire alors que la patronne nous raconte comment elle a vécu le drame national de 1999 quand la France battit les all-Blacks au millénium stadium en demi-finale de la coupe du monde. Elle y était.
Nous ressentons l’atmosphère des authentiques cafés des sports comme il en existait jadis dans toutes nos villes de province où pas moins de cinq écrans retransmettent des matchs de rugby, des courses de chevaux et de lévriers. . L’accueil est vraiment convivial et simple, nous sommes bien, nous commandons donc des mixteds plats. D’énormes steaks avec des frites maisons nous sont servis. Nous arrosons le tout de plusieurs chopes de bières sous le regard amusé des clients, notre taux de cholestérol a dû grimper ce jour-là.
 En quittant le lieu tout le monde nous salue et nous fait de grands signes amicaux en guise de bienvenue au pays du rugby. Devant le café,  nous nous sommes aperçus que celui-ci était à vendre, l’idée de l’acheter nous a traversé l’esprit…
Revenant à notre véhicule, nous observons sur le parking encore un arbre magnifique. Il est énorme et aussi large que haut. Dans ce pays, à chaque instant la nature vous offre une merveille, comment résister. Nous reprenons la route et  arrivons à Wellington aux environs de quatorze heures trente. La capitale de la Nouvelle-Zélande, est incontestablement beaucoup plus petite qu’Auckland. La ville compte un peu moins de deux cent mille habitants seulement et quatre cent mille avec sa périphérie. Elle est située au milieu d’une immense baie où se rencontre la mer de Tasman et l’océan Pacifique, au sud-ouest de l'île du Nord, sur le détroit de Cook, le passage qui sépare les îles du Nord et du Sud.
Wellington est la capitale nationale la plus australe du monde, elle est également la capitale la plus isolée du monde. Elle est appelée « Windy Wellington » à cause des forts vents, qui y soufflent de par son emplacement dans les quarantièmes rugissants, un vent omniprésent venant du détroit de Cook. La ville est construite autour de son port, en arc de cercle autour de la baie. Le centre-ville ressemble un peu à celui d’Auckland avec des grands bâtiments modernes rassemblés autour de l'imposant Parlement, mais en même temps il est assez compact pour être visité à pied, derrière et autour ce sont des collines très boisées et peuplées de belles demeures en bois aux couleurs bigarrés, qui dominent la ville et qui semblent l’encercler.
Après avoir fait un léger tour de ville en longeant le port et repéré le lieu d’embarcation des ferrys qui font la traversée vers l’île du sud, nous décidons d’aller rapidement au camping qui se retrouve à treize kilomètres du centre-ville de l’autre côté de la baie. Nous prenons une place, déposons le campervan et  retournons en ville  par les bus de ville.
Pour la première fois nous prenons un transport en commun, nous profitons du circuit pour admirer le paysage puisque nous longeons la baie. C’est très beau et très paisible encore une fois. Nous remarquons aussi que les kiwis sont au volant comme ils sont dans la vie, ils ne stressent pas et conduisent tranquillement, nous n’entendons aucun  klaxon, le rythme de la conduite est à l’image du pays, calme et détendu.
Notre première ballade dans Wellington tourne au coup de foudre. On la compare à San-Francisco même si aucun de nous n’y est allé. C’est une alternance de vieilles bâtisses colorées en bois au style américain du temps des pionniers avec des immeubles récents, en verre le plus souvent et à l’architecture moderniste. Même si nous y sommes restés moins de quarante-huit heures, nous sommes tombés sous le charme de cette belle capitale australe.
Le centre-ville de Wellington, regroupe la plupart des bâtiments historiques, datant de l'époque victorienne, l’influence architecturale anglaise est évidente. À partir de la zone portuaire, qui est aussi la zone des bureaux administratifs des structures gouvernementales et de la fédération de rugby néo-zélandaise on trouve multitudes de musées et théâtres. La ville ressemble à un grand amphithéâtre tourné vers son port qui est le centre névralgique de la ville et bat au rythme de la coupe du monde. Sur les quais, d’immenses affiches retracent l’histoire du rugby All-Blacks honorant les grands anciens. Les quais sont ici les Quay Waterloo. À chacun ses héros, ses batailles et ses défaites. De nombreux  bars et des écrans géants attendent les touristes dans une ambiance bon enfant. Nous buvons un coup dans un immense bar  qui est aussi une brasserie et qui vibre aux effigies de ses idoles Blacks. Tout au fond du port : Le Musée de la Nouvelle-Zélande :  Te Papa
Le jeudi, le musée est gratuit, nous en profitons pour le visiter. Logé dans un bel immeuble de six étages nous découvrons la Nouvelle-Zélande à travers son histoire sa faune et sa flore dans d’immenses salles interactives. Nous sommes arrivés vers dix-huit heures mais comme le jeudi c’est la soirée nocturne nous pouvons le visiter jusqu’à plus de vingt heures. Chacun  déambule à son rythme au travers des différentes salles et expositions, comme il n’y a presque personne, c’est très agréable. Nous découvrons la faune et la flore de la Nouvelle-Zélande grâce à des animaux terrestres endémiques néo-zélandais empaillés. La liste s’avère extrêmement réduite, il n’y a aucun serpent qui vit en Nouvelle-Zélande et jusqu’à l’arrivée des européens aucun mammifère terrestre n’habitait l’île d’où l’explication des innombrables espèces d’oiseaux rencontrées. Nous avons aussi traversé par l’image l’histoire de la Nouvelle-Zélande et comme dans tous les musées modernes l’interactivité est omniprésente comme par exemple la possibilité de vivre un tremblement de terre dans une maison comme si vous y étiez. N’ayant pas pris de guide et comme tout est indiqué en anglais sans aucune traduction, cela a limité notre compréhension pour les explications concernant la plaque tectonique et l’emplacement de la Nouvelle-Zélande sur la ceinture de feu même si au final nous avons tout de même mieux compris la formation géologique de l’île.
Nous quittons le musée vers vingt heures, nous nous promenons longtemps dans la ville cherchant en vain un restaurant. Fatigués de la journée, l’estomac vide, transis de froid, la tension grimpe d’un cran quant au choix du restaurant. Nous nous arrêtons dans un premier pub mais l’ambiance et le prix ne nous conviennent pas. Nous buvons tout de même un coup et continuons la route
Comme d’habitude chacun y va de ses états d’âmes culinaires du moment mais le temps passe, l’estomac se creuse toujours plus, la fatigue redouble  et le choix se fait moins exigeant. Finalement nous nous arrêtons dans un pub dans la rue piétonne au nom évocateur de Cuba Street. Dans le bar beaucoup de bruit et un petit orchestre qui joue très fort, mais assez juste, de vieux standards de rocks.
Le dîner se résume à un plat unique à base d’agneau en sauce avec de la purée en accompagnement, mes collègues préfèrent prendre du poisson, cela fait si longtemps que Jean-Luc en rêve. Le bar, tout en bois est relativement spacieux, un peu partout sont disposés de nombreux écrans de télévision permettant de re regarder des matchs de rugby, mais aussi des combats de full-contact hypnotisant Alain.
Après le repas, par un froid glacial accentué par le vent, nous nous promenons encore dans les rues de Wellington dans l’attente incertaine d’avoir un bus. L’attente se prolonge pendant plus d’une demi-heure ce qui  finit de nous frigorifier et nous oblige à nous réfugier à l’intérieur d’un bar pour nous réchauffer et boire une dernière bière.
Vers vingt-trois heures, un bus nous ramène enfin au camping, de l’autre côté de la baie, la fatigue nous impose une sieste salvatrice pendant le voyage avant la terrible coinche annoncée. Le sommeil arrive vite rendant plus difficile encore les quelques centaines de mètres à faire à pied entre l’arrêt de bus et le camping.
La coinche est programmée elle a lieu. Théoriquement, elle a pour fonction de nous détendre avant de nous coucher, ce soir ce ne sera pas le cas. Cela devient une habitude, une nouvelle défaite s’annonce, et là, sans prévenir, voilà que mon partenaire se met en colère. Je ne suis plus son ami, encore moins son camarade, une défiance terrible à mon encontre se lit dans ses yeux m’accusant de tous les mots de la terre. Il me met plus bas que terre, m’expliquant combien nos défaites successives me sont imputables et sont toutes de mon unique fait. La tristesse m’envahit, l’amitié est fragile dans ces moments-là, je vais me coucher malheureux, sous les rires moqueurs de l’adversaire vielmurois mais sous le regard compatissant de Jean-Luc, ce qui l’honore.

Vendredi 23 Septembre 2011
Wellington
Australie-USA
                    Vendredi matin dans le camping situé tout au bout de la baie nous vaquons à nos occupations favorites le temps d’une belle matinée ensoleillée. C’est le printemps, tous les oiseaux semblent s’être donnés rendez-vous pour chanter dans les nombreux et toujours magnifiques arbres du camping. Le chant caractéristique du Tui domine la chorale.
Jean-Luc fidèle à ses habitudes va sur internet chercher la composition du Castres Olympique pour le match prévu le lendemain contre Brive à Pierre Antoine,  Thierry et Alain profitent de la matinée pour faire une dernière petite lessive en machine, quant à moi je me promène dans les allées du camping observant les oiseaux dans les arbres et les canards toujours aussi peu sauvages et amicaux.
Nous remarquons qu’il y a, pour une fois, beaucoup de monde dans ce camping et plus particulièrement  des australiens. Ce soir leur équipe joue contre les USA au Westpac stadium de Wellington, ils sont donc venus en masse la soutenir, nous y serons. Pour la première fois, le monde  nous oblige à trouver des subterfuges pour profiter intimement et donc pleinement des sanitaires. Comme dans tous les campings où nous sommes passés, tout se mélange et les WC sont attenants aux douches. Un nombre incalculable d’Australiens rentrent et sortent dans un va-et-vient de bruits et d’odeurs épouvantables, il m’est donc difficile de me laver les dents et encore moins possible de faire ma commission du matin. Les joies du camping à l’état pur, moment de solitude.
En fin de matinée nous quittons sans regret le Top 10 Holiday Park et rejoignons Wellington en longeant à nouveau la baie, toujours aussi somptueuse, au loin, dans un va-et-vient incessant, des cargos et des ferrys entrent et sortent du port, les appareils photos crépitent, nous faisons un arrêt pour nous délecter une dernière fois du paysage. Arrivés à Wellington, nous cherchons dans un premier temps l’embarcadère où est censé accoster le ferry qui doit nous amener vers l’île du sud demain à sept heures du matin. Etant donné l’heure matinale à laquelle nous devons embarquer, nous avons peu de marge de manœuvre en cas d’erreur, d’où le souci de repérer le lieu à l’avance. Bien entendu, trouver l’embarcadère, nous prend du temps et de la tension. Chacun y va de son intuition visionnaire pour trouver le chemin et le parking à l’exception bienveillante de Jean-Luc qui nous fait confiance. L’embarcadère localisé, le chemin d’accès reconnu, nous cherchons, longtemps, un parking dans la ville, susceptible de nous accueillir pour vingt-quatre heures. Nous sommes déterminés à ne plus toucher le campervan de la journée pour profiter de la ville pédibus cum jambis. Le centre-ville est largement concentré autour de sa zone portuaire quant au stade où nous devons aller en soirée, des transports en commun sont prévus pour ne pas avoir à manœuvrer un engin de plus de six mètres de long.
Très facilement nous trouvons une place sur le port, tout à côté du musée Te Papa visité la veille. Le temps de comprendre toutes les subtilités dans la langue de Shakespeare  du règlement affichées sur le parcmètre qu’une charmante kiwi nous offre son ticket de stationnement du parking validant la journée intégralement. Nous économisons ainsi la somme de vingt et un dollars, ce qui, en ces temps difficiles, n’est pas négligeable.
Munis du guide de voyage : Le petit futé 2011, au chapitre Wellington où manger ? Nous suivons la suggestion  proposée et allons déjeuner dans un restaurant de spécialités maori et gouter enfin au fameux Hangi. D’après le plan nous sommes tout proche, dans les faits, la promenade s’éternise  mais est heureusement très agréable et nous permet d’admirer de belles demeures en bois aux couleurs pastel rappelant encore une fois les maisons américaines. Nous tournons longtemps dans ce quartier sans trouver ce fichu restaurant, Alain, dans un anglais parfait se renseigne à la petite épicerie de quartier. Le charmant commerçant lui indique que le dit restaurant recommandé par le petit futé 2011 est fermé depuis deux ans  et qu’à la place il y a un restaurant Thaï...Cela nous laisse rêveur quant au sérieux de la prétendue actualisation 2011 du guide pourtant précisée en gras en page de garde. Le remplaçant  Thaï se rallonge à la liste déjà importante des restaurants spécialisés dans la cuisine asiatique, que nous trouvons en Nouvelle-Zélande, c’est la nouvelle mode culinaire planétaire. S’il est acquis que la cuisine kiwi est inexistante du fait de l’influence historique de la culture anglo-saxonne, nous étions en droit d’espérer gouter à la cuisine Maori, hélas l’ethnocide se confirme même dans la transmission culinaire.
Ce contretemps fâcheux entame notre sérénité et le consensus trouvé grâce au guide. D’âpres débats et de nouvelles négociations s’engagent sur le choix du lieu où nous pouvons nous sustenter. La faim est source de tension, il faut faire vite, l’expérience parle aux français, dans un éclair de lucidité nous pénétrons dans le premier restaurant venu au nom évocateur pour les toulousains que nous sommes : The Capitol Restaurant. C’est un restaurant attenant au théâtre de la ville se donnant un air branché et culturel tendance bobos français. La décoration est un mélange d’art déco et de postmodernisme. Des dizaines de bouteilles de Campari servent d’éléments de décoration, elles me rappellent de vieux souvenirs douloureux. Quand nous franchissons le pas de la porte, la tension retombe, derrière le comptoir, une bouteille de Pernod trône au milieu de diverses boissons alcoolisées. Elle nous regarde et nous sourit, nous la regardons et nous sourions. La vie est simple quelques fois.
 Ce sera donc un Pernod pour l’apéro, mais le patron n’a visiblement pas conscience du trésor national tricolore qu’il possède. Il nous sert la chose accompagnée d’eau tiède et parfumée à la fleur d’oranger sans glaçon bien évidemment. Quel gâchis !!! Paraphrasant Engels j’affirme que La preuve du pernod c’est qu’on le boit. Je savoure donc l’instant, fermant les yeux, je reçois les effluves du liquide anisé venant réveiller mes papilles et ma mémoire. C’est bon. Gageons qu’à l’avenir ils sauront servir la chose magnifiée de deux glaçons et de cinq volumes d’eau tout simplement.
Le repas comme le vin sont à la hauteur de notre attente et après avoir longuement hésité entre la parsnip, le  pumpkin et le haloumi grilled nous optons pour des bruschettas accompagnées d’un brocoli et d’un fromage kiwi en entrée suivi de calamars à la romaine.
 Etait-ce le lieu ? L’apéritif ? Le vin ?  Toujours est-il qu’une fois de plus nous sommes heureux. Une petite pointe de nostalgie nous envahit et chacun y va de ses souvenirs de voyage racontant ses expériences initiatiques d’adolescent avec une pointe d’amertume en observant le temps qui passe.
Le repas terminé et payé (un peu cher) nous décidons de visiter la ville en empruntant  le bus électrique  qui doit nous amener sur les hauteurs de Wellington aux abords du jardin botanique. La chauffeuse du bus est une authentique maori, adorable, qui  ne nous fait pas payer la course, nous souhaitant à sa façon la bienvenue en pays kiwi. Imposante physiquement, elle nous impressionne aussi par la façon dont-elle mène son bus, n’hésitant pas à grimper debout sur son siège et à vociférer à l’encontre des voyageurs des mots suffisamment explicites, pour ne pas avoir besoin d’être traduits, leur demandant de reculer pour permettre à d’autres clients de pouvoir rentrer.
Arrivés en haut de la ville, nous traversons l’immense jardin botanique de vingt-cinq hectares qui est bien entendu magnifique. C’est un concentré de la Nouvelle-Zélande. Toutes les plantes y sont représentées avec goût. Des dizaines d’oiseaux chantent dans les arbres dont certains s’élèvent à plusieurs dizaines de mètres, les magnolias sont immenses et tout en fleur. Le jardin ne fait pas exception à l’accueil qu’a réservé le pays à sa coupe du monde. D’immenses parterres de fleurs sont aux couleurs des vingt équipes présentes. Un immense parterre de tulipes rouges honore le Tonga, pour la France tout à côté  c’est un ensemble de fleurs rouges bleues et blanches qui symbolise le drapeau tricolore. Nous nous promenons dans le jardin près d’une heure le cœur léger, le pas alerte mais le souffle un peu juste. Tout en haut du jardin, près de l’observatoire, après un petit cent mètres ludique au pas de course, nous nous étendons sur l’herbe verte et grasse pour admirer la ville, la baie, la mer, la Nouvelle-Zélande qui s’étend à nos pieds: C’est beau, notre éblouissement dure de longues minutes, nous sommes ailleurs.
Nous quittons les lieux pour redescendre vers la ville. Le groupe se fracture à l’amiable, Alain et Thierry veulent aller visiter le parlement qui se situe dans une immense tour cylindrique à quelques pas en contrebas. Jean-Luc et moi préférons respirer l’air du large et flâner dans les rues, mais seuls.  
Je pars donc seul dans les rues abruptes me dirigeant vers le port. Les premières rues ne revêtissent aucun attrait particulier, c’est une succession d’alignements pavillonnaires. Je choisis finalement de prendre le funiculaire pour descendre plus rapidement dans le centre-ville, c’est un vieil appareil magnifiquement restauré qui descend sur un kilomètre avec une très forte inclinaison. Il me dépose au pied d’une rue commerçante très vivante. Perdu au milieu des kiwis, je flâne au hasard des rues, humant l’ambiance joyeuse et paisible de la capitale. Il n’y a pas la circulation démesurée propre aux capitales occidentales, si la ville regorge de commerces, comme toutes les capitales du monde très peu sont des attrapes touristes, c’est une ville qui vit à un rythme humain, se laissant découvrir sans être oppressante s’invitant à être désirée. Le stress et la vitesse sont absents et les gens déambulent avec le sourire et le temps. Je remarque aussi l’absence de mendiants,  personne ne tend la main pour demander une pièce, la pauvreté ne se voit pas. Est-elle cachée ou absente ?
Conscient à cet instant précis du privilège et du bonheur que j’ai à être là mon esprit et mon corps divaguent loin des soucis laissés en France, comme si le vent de Wellington lavait mon corps des remous bouillonnants de l’intérieur me permettant d’aimer cette ville de façon démesurée dans une quiétude absolue m’entrainant vers l’ataraxie si chère à Epicure.
Continuant ma promenade, je croise aux abords du port, devant un hôtel résidentiel, les joueurs de l’équipe d’Argentine rentrant de l’entrainement. Quelques supporters pumas sont là, pour encourager leur équipe dans une ambiance conviviale à des années lumières des images détestables de supporters de foot avides d’en découdre avec le reste du monde. 
Quand je reviens au port il est dix-huit heures trente et mes trois compagnons m’attendent, se reposant dans notre véhicule. Chacun raconte sa promenade. Alain et Thierry ont visité le parlement. Jean-Luc a trouvé quelques petits souvenirs  mais se garde bien de nous les montrer et tout le monde est sous le charme de la ville
Nous profitons de ce moment de repos pour acheter une bouteille de vin blanc dans un grand supermarché tout à côté de notre parking avec les incontournables arachides pour boire l’apéritif avant de nous diriger vers le stadium de Wellington pour assister à notre dernier match de la coupe du monde 2011. Le Westpac Stadium se trouve à environs trente minutes de marche, chaudement habillés et pour la dernière fois en tenue de combat, béret et sweat aux couleurs de la France nous partons au stade.
Finalement nous prenons une navette de bus gratuite, mise à disposition par la fédération néo-zélandaise permettant aux supporters de se rendre au stade sans encombre. Dans une ambiance bon enfant et très colorée, nous nous mêlons aux supporters wallabies et américains n’hésitant pas à entonner fièrement  notre hymne national en dignes héritiers des soldats de l’an II défendant la patrie :
La tristesse et la peur leur étaient inconnues.
Ils eussent, sans nul doute, escaladé les nues
Si ces audacieux,
En retournant les yeux dans leur course olympique,
Avaient vu derrière eux la grande République
Montrant du doigt les cieux
! ...
Ce moment de bravoure fût conclu par un vibrant « Allez les bleus » laissant médusés et amusés les australiens et les américains à nos côtés.
La plupart des américains déguisés et peints aux couleurs bleues et rouges  sont en fait des kiwis déguisés, ils ont en horreur les wallabies et soutiennent donc, systématiquement, l’équipe d’en face, pour ce soir ce sera les USA.
Le bus nous amène dans les entrailles du somptueux stadium de Wellington qui ressemble à une soucoupe volante faite de métal et brillant de mille feux dans la nuit. Les bus entrent dans les sous-sols du stade déversant des flots ininterrompus de supporters. Nous remontons quelques marches pour nous retrouver devant l’entrée principale. Comme dans tous les stades visités précédemment, la fouille est relativement superficielle, le personnel de sécurité est souriant et charmant, l’ordre est aux antipodes de cette tranquillité violente dénoncée par V Hugo. Nous avons dans nos poches des canettes de bière, puisque nous refusons toujours d’engraisser le sponsor officiel, cela ne déclenche aucune alarme et ne pose aucun problème à notre passage, nous économisons à nouveau quatre dollars sur les sept dollars cinquante que vaut l’Heineken officielle.
Avant d’entrer, mes compagnons d’escapades, toujours otages de la nicotine veulent griller une petite dernière avant de pénétrer dans l’enceinte. Nous décalant du passage, nous trouvons un recoin accueillant les futures et futurs cancéreux des poumons. 
Trois charmantes hôtesses à nos côtés font de même. La rencontre s’invite, le dialogue s’instaure rapidement, car une d’entre elles parle un très bon français. La France et les français font toujours rêver, elles nous interrogent sur nos origines et nous posent les questions habituelles propres à ce genre de rencontre.
Nous remarquons, qu’elles ont toutes un carton VIP autour du cou, en observant attentivement nous nous apercevons que ce sont des hôtesses commerciales de la marque si chère à notre foie: Ricard Pernod. Le hasard organise quelques fois des rencontres, pour le moins cocasses La photo souvenir s’impose sur le champ.
Nous pénétrons enfin dans le stade. Un immense hall d’entrée permet aux spectateurs de trouver de nombreux bars ou l’on peut se désaltérer, mais aussi se restaurer. Les pompes à bières chauffent. D’immenses affiches apposées aux murs rappellent les évènements historiques qui ont eu lieu dans l’enceinte. Concert des Stones ou de U2 en passant par toutes sortes de spectacles musicaux, mais aussi et surtout beaucoup d’images de matchs et de capitaines légendaires des All-Blacks tout au long du vingtième siècle.
Nous quittons le Hall pour pénétrer dans le cœur de l’enceinte, c’est de toute beauté. C’est un anneau cylindrique parfait contenant plus de quarante mille places. Le stade est en fête, beaucoup de couleurs et d’enthousiasme. La sono crache de la musique et comme partout, en fonction des équipes qui jouent, les morceaux choisis symbolisent le pays. Pour la France, nous avons eu droit à M Polnareff et « nous irons tous au paradis ». Ce soir avec les américains, c’est le Boss qui s’invite avec « Born in the USA » repris par les milliers de spectateurs enthousiastes. Les déguisements sont dignes de bals costumés. Beaucoup de spectateurs ont visiblement travaillé la chose. Deux jeunes filles sont magnifiquement déguisées, une en drapeau américain, l’autre en australien, Alain ne résiste et leur demande une photo souvenir à leurs côtés.
Notre impression première est la bonne, la plupart des supporters américains sont en fait des kiwis. L’ambiance est très différente de chez nous. Ils sont au stade comme on va à un spectacle. Rien à voir avec nos supporters. La sortie est prétexte à boire, se déguiser et rigoler. Ils circulent en permanence passant leur temps à aller acheter des bières et aller pisser. Ils passent et repassent devant nous sans arrêt ce qui a le don d’emmerder sérieusement Jean-Luc et Alain.
Beaucoup sont enivrés, filles ou garçons et se fichent pas mal du score. Faut dire que pour ce qui est du score, les américains prendrons une branlée mémorable : 67 à 7.
Dès la fin du match nous quittons très facilement le stade et rentrons, cette fois-ci à pied, à notre domicile sans avoir oublié de nous  arrêter dans un des nombreux pubs du port pour boire une dernière bière kiwi et….regarder un match de rugby à treize à la télévision. Le port est le centre névralgique de la nuit et de la coupe du monde. Les bars sont pris d’assaut par une foule compacte cherchant visiblement à continuer la soirée. Comme toute les capitales du monde et à l’inverse du reste du pays la nuit est animée.
Finalement, nous n’avons plus l’âge et nous rentrons au port en admirant une dernière fois la magnifique exposition retraçant l’histoire des All-Blacks sur les quais.
Je refuse à mes compagnons la coinche quotidienne voulant dormir éreinté par ma belle journée.  Ils vont à la recherche d’un petit en-cas dans le supermarché qui est toujours ouvert malgré l’heure plus que tardive. Ils reviennent rapidement et mangent avant de s’endormir à leur tour.
Toute la nuit, sur le parking où nous stationnons ce n’est que chants, rires et hurlements. La dizaine de campervans garés à nos côtés  sont  de jeunes  supporters australiens qui font bruyamment la fête. La viande est saoule et bien saoule, ils viennent taper à notre porte pour certainement nous inviter à la beuverie, nous ne répondons pas à l’invitation, trop vieux. 
Le vent s’est levé, il souffle par rafales et le camion en est tout secoué lui donnant des airs de bateau voguant dans la nuit azurée.
Cette dernière nuit sur l’île du Nord sera interminable pour les soldats de l’an II et c’est sans mal qu’ils se lèvent pour embarquer à l’heure prévue.



Samedi 24 Septembre 2011
Wellington-motueka
                                       L’anniversaire
                              Dès six heures du matin, tout le monde est debout avec de petits yeux. Jean-Luc fait du rangement dans les coffres de son petit espace de vie, les maxillaires sont serrés, à l’évidence le wallaby est définitivement son ennemi à cause de la nuit qu’il vient de lui faire vivre, à moins que ce soit le fait d’avoir un an de plus qui le taraude, car aujourd’hui, c’est son anniversaire.
Vers six heures trente nous démarrons sans même déjeuner pour être sûr d’avoir notre place à bord du Ferry. Nous n’avons que deux ou trois kilomètres à faire, mais nous préférons assurer au cas où. Avant de partir, nous prenons juste le temps de soulager nos vessies et d’admirer le parking au petit matin. Il ressemble à un champ de bataille après la guerre avec des corps allongés sur les capots des voitures et sur les pelouses. De toute évidence si la victoire fut facile sur le terrain elle fut rude à honorer.
Dix minutes plus tard, nous voilà installés dans la longue file d’attente près à embarquer. Nous profitons de cette halte pour déjeuner tranquillement dans le campervan, nous avons demi-heure d’avance. Alors que nous venons de dresser la table et que l’eau bout, les portes du ferry s’ouvrent soudainement et les dockers de la compagnie Interislander ne nous laissent pas le choix, il faut y aller. Nous abandonnons nos tartines et notre café et pénétrons  dans l’antre du Boat Wantaki.
Le bateau ressemble à tous les ferrys du monde avec six étages où sont repartis un cinéma, trois bars deux restaurants des salles de repos, des salons des boutiques de souvenirs ainsi que diverses salles où l’on peut dépenser quelques dollars avec en prime un petit orchestre fort sympa jouant du rock pour nous accompagner durant la traversée.
Nous nous installons sur une terrasse couverte qui nous permet d’admirer le paysage tout en étant à l’abri car même si le soleil est au rendez-vous, le vent glacial qui l’accompagne nous oblige à nous tenir au chaud. Cette terrasse a aussi pour avantage de disposer de sanitaires, nous permettant de nous laver à minima voir plus.
Affalés sur les fauteuils, encore groggys par ce lever  pour le moins spartiate, nous émergeons doucement. A tour de rôle, chacun va découvrir le navire, déambulant dans les coursives et sur le pont ramenant son anecdote au groupe.
Comme partout dans le pays la connexion  wi-fi à bord est payante au tarif de sept dollars les deux heures. Je prends l’initiative d’acheter deux heures malgré le coût. Cela nous permet de pouvoir abreuver notre blog de photos et de commentaires donnant ainsi des nouvelles aux familles et aux amis. Cela a aussi comme intérêt de pouvoir suivre la fin du match de Castres contre Brive en direct car même si nous quittons l’île du Nord, Jean-Luc ne perd pas le Nord et son CO reçoit le CAB à Pierre Antoine et doit absolument gagner pour rester en tête du championnat. Il est vendredi 18h 30 à Pierre Antoine
 Thierry tiraillé par la faim se restaure comblant le vide stomacal laissé par le petit-déjeuner light, Alain s’est endormi sur un siège terminant sa nuit agitée tout en admirant le paysage entre deux battements de cils quant à  Jean-Luc, il part affronter le vent et le froid sur le toit du bateau pour prendre des photos. Il va beaucoup mieux et est nettement moins stressé car, même si ce fut laborieux, le CO a fini par battre l’équipe de Brive. A mon tour, je rejoins Jean-Luc sur le toit du bateau pour admirer à ses côtés le paysage.
Après avoir appareillé, le navire traverse la baie de Wellington avant d’entrer dans le détroit de Cook par une mer sombre et moutonnante, filant dans les embruns et cognant le creux des vagues nous quittons l’île du Nord.
Pendant près de deux d’heures, nous voguons au fil de l’eau contemplant les milles marins qui s’égrènent lentement dans la splendeur du printemps néo-zélandais. La force du vent est stupéfiante, cela nous donne un aperçu de ce que les marins peuvent vivre quand ils affrontent les quarantièmes rugissants. Un grand nombre de passagers jouent en se mettant face au vent et en se laissant tomber, mais en ouvrant simplement le manteau, la prise au vent les empêche de tomber. C’est vraiment impressionnant.
La traversée s’achève par la longue remontée d’un fjord, le bateau pénétrant dans un des nombreux Marlborough Sounds de l’île du sud. Le paysage s’apparente aux paysages nordiques, les forêts de conifères, vierges de toute trace humaine, plantées sur des collines plongent dans l’eau. La mer est plus calme, mais sur le toit du bateau, le vent glacial venant tout droit du pôle sud nous fouette le visage, nous obligeant à nous mettre à l’abri malgré la beauté du paysage. C’est ainsi que pendant plus d’une heure, nous remontons le Sound de la Reine-Charlotte  avant d’arriver à Picton, tout au bout.
Nous voilà sur l’île Te Wai Pounamu, c'est-à-dire ; Le Pays de l'eau des pierres vertes. 
Nous débarquons vers onze heures à Picton, petit port s’enroulant autour d’une anse profonde en bout du Queen Charlotte Sound. La ville est située à l’extrémité Nord-Est de l’île du Sud. Elle compte quatre mille âmes et vit essentiellement au rythme des traversées quotidiennes des ferrys  mais aussi du tourisme. En cette période, la ville semble assoupie et il est difficile d’imaginer qu’en période estivale, de nombreux touristes néo-zélandais choisissent cette région pour venir y prendre leurs vacances. Tout semble être en hibernation à l’exception du port qui déverse toutes les quatre heures sont lot de passagers des ferrys qui font la traversée.
Nous quittons Picton rapidement sans même prendre le temps de visiter la ville pour rejoindre la ville d’ Havelock, à l’Ouest, distante de soixante-dix kilomètres et capitale mondiale de la moule et plus particulièrement de la verte Néo-zélandaise.
Dès les premiers lacets de la route, nous constatons un changement profond du paysage et de la flore. Nous longeons la mer et plus précisément les fameux Sounds de la région de Marlborough. C’est un immense réseau de terres immergées dans l’océan, laissant apparaître  de plus ou moins longs bras de mer, composés de denses forêts, qui plongent directement dans l’eau. Les eaux y sont donc calmes, séparées de l’océan et de ses forts courants par toutes ces petites îles et péninsules. Les paysages sont magnifiques et la forêt primaire somptueuse.
Nous roulons à faible allure, profitant des rayons de soleil et du vent du Nord qui repousse l’air froid venant du Sud réchauffant l’atmosphère et illuminant le paysage. À chaque virage, c’est un émerveillement pour les yeux. La route sinueuse longe la côte dans un dédale de criques, de anses, de plages et de bras de mer délicieusement déserts. Quelques fois, la route grimpe, prenant de la hauteur, nous surplombons un paysage splendide nous obligeant à descendre du véhicule. Puis reprenant la route nous redescendons aux abords d’une nouvelle petite anse, plus belle que la précédente où quelques moutons paissent à l’embouchure d’un petit ruisseau.
Si la végétation est essentiellement constituée de conifères, les yuccas et les grandes fougères restent présents pour nous rappeler que nous sommes bien en Nouvelle-Zélande. Nous dégustons ces kilomètres et roulons ainsi pendant près d’une heure avant d’atteindre Havelock.
 Havelock est un petit village de moins de cinq cents habitants, difficile de s’imaginer que nous sommes dans la capitale de la moule même si une immense moule géante en carton-pâte à l’entrée du village nous l’assure. Trois ou quatre restaurants aux abords de la rue principale servent la spécialité locale, la moule aux lèvres vertes  ou plus exactement the green mussel.
 Le village situé au bord de l’estuaire ressemble aux villages de l’île du Nord, c’est à dire qu’il est constitué d’une rue principale d’environ cinq cents mètres et de quelques petites rues perpendiculaires. Les couleurs et le bois des façades lui procurent un certain charme, mais cela n’a rien à voir avec nos villages bretons riches d’une histoire deux fois millénaires.   
Midi sonne, la faim klaxonne, nous décidons donc de nous arrêter dans un restaurant pour déguster enfin, ces moules légendaires. Notre choix se porte sur celui qui a la décoration extérieure la plus originale. Sur le toit, sur les  façades et sur la terrasse, de petites moules en carton-pâte avec deux jambes et un œil nous font signes : The Mussel pot : This iconic Marlborough restaurant and cafe specialises in green lipped mussels: Comment résister ?
La qualité de l’accueil, la beauté des paysages observés depuis le matin, l’arrivée sur l’île du Sud, le soleil printanier qui nous accompagne, l’anniversaire de Jean-Luc et le France-Blacks qui approche confèrent à cet instant précis la certitude que le bonheur existe ailleurs que dans le rêve, ailleurs que dans les nues, terre, terre, voici ses rades inconnues..
L’atmosphère joyeuse et pétillante emporte avec elle tous les calculs financiers rationnalisant le coût journalier de notre voyage revisité quelques heures auparavant. L’anniversaire de Jean-Luc vaut bien une fête…
En guise d’apéritif, à tour de rôle, chacun offre sa bouteille de vin blanc de la région de Marlborough, immense et réputée région vinicole néo-zélandaise. Le budget journalier explose, nous en rions, le vin coule dans nos veines.
"Il est l'heure de s'enivrer! Pour n'être pas les esclaves martyrisés du Temps, enivrez-vous; enivrez-vous sans cesse! De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise."
Nous choisissons et hésitons longtemps entre les steamed mussels et les grilled mussels et entre les différentes sauces proposées. Les plats sont à la hauteur de nos espérances, nous dégustons enfin les moules aux lèvres vertes et cela nous entraine bien évidemment, sur des chemins graveleux. Nos voisins de table et plus particulièrement une, en est la principale victime. Dotée d’un corps à la Botero, elle alimente notre conversation et nos phantasmes.
 Nos blagues triviales et nos rires imbéciles cessent  brusquement quant au moment du départ ceux-ci nous saluent et nous souhaitent bon voyage dans un français parfait, ce sont  des compatriotes !!!
Profitant de la chaleur offerte par un soleil toujours aussi généreux, nous nous installons sur la terrasse à l’extérieur pour savourer notre dernier verre de sauvignon et prendre un café. Est-ce le vin ou le soleil ?  Pour la deuxième fois depuis le départ il fait chaud et nous sommes en tee-shirt.
Le repas terminé nous reprenons la route, l’euphorie ne nous quitte pas et c’est avec toujours autant d’enthousiasme qu’Alain prend le volant pour la dernière étape de notre première journée dans l’île du Sud. Nous l’accompagnons en chantant. Alain roule ainsi pendant une petite demi-heure avant de me passer le volant après une halte technique. Il est important de noter que durant cette partie du voyage, notre conduite à gauche fut irréprochable et ne nous a demandé aucun effort de latéralisation, comme quoi ….boire ou conduire ne s’accompagne pas obligatoirement d’un choix.
Pour Thierry les journées se ressemblent. Depuis notre départ son corps est biologiquement programmé au rythme des athlètes de haut-niveau. Il alterne entre les efforts physiques et les phases de récupération. En début de matinée, en fin de matinée, en début d’après-midi, en fin d’après-midi il succombe à la sieste bienfaitrice venant régénérer son corps ciselé par le labeur quotidien de ses exercices physiques. Aujourd’hui l’entrainement spécifique du lever de coude pendant le repas l’entraine dans une sieste de soixante kilomètres. Maitrisant parfaitement les gestes, il se déploie contre le montant gauche du campervan, laisse tomber sa tête vers l’arrière et ouvre grand sa bouche cherchant l'oxygène, il s’endort Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage
Nous roulons vers l’Ouest en logeant la mer de Tasman. Nous traversons Nelson, capitale de la plus petite région de Nouvelle-Zélande que nous n’avons pas le temps de visiter car la route est encore longue avant Motueka. Nelson est une ville qui compte environ quarante-mille habitants, elle accueille quelques matchs de la coupe du monde, mais est surtout considérée comme une des plus belles régions de Nouvelle-Zélande grâce à son climat et sa typologie qui en font une destination prisée des néo-zélandais l’été. C’est aussi un  grand centre viticole du pays. Nous prenons malgré-tout le temps  d’admirer l’immense baie et la belle plage parsemée de petites îles au soleil couchant. La route longe de toutes petites stations balnéaires qui commencent à se réveiller après un long hiver néozélandais. Faut-il préciser qu’une fois de plus, la végétation et les paysages nous entrainent à chercher des qualificatifs qui soient à la hauteur du spectacle. Après une nouvelle heure de route, nous atteignons enfin, Motueka destination finale pour aujourd’hui.  C’est le point de départ de notre trek prévu le lendemain dans l’Abel tasman
Motueka est la dernière station balnéaire avant le parc naturel de l’Abel Tasman. C’est donc une route en cul de sac laissant une bande de terre de près de cent kilomètres devant elle, après c’est le parc national de l’Abel Tasman, suivi du parc national du Kahurangi jusqu’à la pointe extrême Nord-Ouest de l’île : Séparation Point. Ces parcs mesurent près de cinq cent mille hectares, c’est-à-dire le département du Tarn…
C’est en saison une ville animée, puisque c’est le point de départ de toutes les excursions dans les parcs nationaux que ce soit en bateau ou à pied. Ce n’est pas sans fierté que nous apprenons que le premier européen à fouler cette région n’est autre que notre ancêtre Jules Dumont d’Urville à bord de l’Astrolabe.
Nous traversons la ville et faisons quelques courses au supermarché local avant d’arriver au camping Holiday Park qui se trouve à la sortie. Il est suffisamment proche du centre pour pouvoir y laisser ce soir le campervan et revenir en ville à pied voir le match de rugby dans un pub.
Le camping semble très isolé, il n’y a que peu de monde et la coupe du monde parait absente. L’ambiance est différente de celle trouvée au Nord. Nous croisons quelques touristes ici ou là dont des italiens mais aucun français n’est présent, ce qui est une première depuis notre arrivée.
L'atmosphère est reposante et verdoyante. L’ombre est assurée par quelques Kauris et Kahikateas centenaires s’élevant à plusieurs dizaines de mètres de hauteur. Des panneaux permettent d'identifier les arbres, des centaines oiseaux nichent et piaillent tout en haut. Certains semblent venir tout droit de Jurassic Park. Ils sont très grands et ressemblent à des oiseaux préhistoriques, est-ce des grues ? Des hérons ? Toujours est-il qu’ils croassent toute la journée, mais aussi la nuit, ce qui confirme l’absence de tout mammifère prédateur dans ce pays.
Entre les arbres, les pelouses vertes et grasses s’offrent à nous, nous décidons de manger dans ce petit paradis et profitons des cuisines communes qui vu le peu de monde présent nous sont dédiées. Les tâches sont reparties en fonction de la  partie de 421.
Avec Thierry nous sommes les grands perdants et donc dans l’obligation d’exécuter toutes les tâches ingrates et dégradantes accompagnés par les rires moqueurs et sarcastiques des deux gagnants. Alain compatissant veut nous donner un coup de main, mal lui en prend puisqu’il casse notre unique et précieuse cafetière. C’est dans ces moments que l’on mesure combien certaines personnes ne sont pas habituées à ce genre d’exercices.
Nous mangeons en compagnie de deux italiens d’une soixantaine d’années accompagnés d’une compatriote bien plus jeune qu’eux. Bien entendu, les interrogations et les supputations alimentent notre repas. Que fait cette belle italienne de trente ans avec ces deux loustics ?  Alain, fidèle à ses habitudes, les informe de ses origines italiennes et entame la discussion. Comme ils sont aussi venus  pour la coupe du monde, les sujets rugbystiques dominent.
La tension monte d’un cran, nous sommes à moins de deux heures du coup d’envoi de France-Nouvelle-Zélande. Nous expédions la fin du repas et prenons quelques forces avec un dernier verre de vin blanc avant de rejoindre à pied le village où un café repéré quelques heures plus tôt nous attend. C’est un bar irlandais et nous pensons y être plus en sécurité au cas où. Sur la route, nous chantons, nous nous motivons et nous emmagasinons du courage, car pour la première fois nous allons vivre un match de l’équipe de France dans un bar et qui plus est contre la Nouvelle-Zélande.
L’accueil du patron n’est pas franchement sympathique, il n’a pas l’air très heureux de nous voir et la discussion s’amorce péniblement. Les échanges sont donc relativement succincts et se limitent à commander quelques pintes de Guinness. Petit à petit le pub se rempli et l’ambiance se détend un peu mais sans grand enthousiasme, ce n’est pourtant pas faute d’essayer en créant un peu d’animation. Le match va commencer, nous entonnons fièrement la marseillaise en ces terres australasiennes au bout du monde.
Quelques kiwis vont très gentiment répliquer à notre enthousiasme en nous promettant une belle déroute. Alain héroïque croit aux chances de l’équipe de France et explique que l’on va gagner, mais en habile rhéteur, il assure ses arrières en  expliquant que ce match est pris à la légère par notre staff, qui ne veut pas se découvrir tactiquement avant la finale promise qui nous attend à l’Eden Park d’Auckland dans un mois. Nous sourions !!!
Les néo-zélandais l’écoutent car incontestablement, ils craignent la France et gardent en mémoire les cauchemars de 1999 et 2007. Visiblement, ils ne sont pas des plus tranquilles à l’entame du match et ne fanfaronnent pas. Nous si !
Nous prenons places dans des fauteuils pour regarder le match. Alain et Thierry, tendus, préfèrent rester au bar. Au bout de quelques minutes nous comprenons que c’est le deuxième scénario  qui s’annonce. Au bout de vingt minutes nous avons déjà pris trois essais et nous sommes menés 19 à 0. Alain est en colère et est très énervé devant l’apathie de l’équipe de France, les hors-jeux de R McCaw et le piètre arbitrage d’Alain Rolland qui a oublié, cet enc…., que son père est français.  En fait, celui qui énerve le plus Alain est Thierry. Il boit lentement sa bière ce qui lui permet d’avoir en permanence son verre rempli, alors qu’Alain doit attendre longuement la tournée suivante qui n’arrive jamais. Alors, de temps en temps, quand Thierry, captivé par les images du match  a la tête tournée, Alain, subrepticement profite de l’aubaine pour boire une gorgée et retrouver un peu de joie. Jean-Luc fidèle à ses habitudes reste stoïque devant la prestation de l’équipe de France, l’important est ailleurs, le CO a battu Brive ce matin.
La seconde mi-temps, le jeu des français est un peu plus consistant puisqu’ils répondent à deux essais encaissés par deux essais marqués. Au final,  l’humiliation est évitée et les Blacks battent la France 37 à 17.
Pendant le match, à nos côtés, un  jeune couple de français très sympas nous prête main- forte face à la foule hostile. Ils sont en Nouvelle-Zélande depuis plus de quatre mois et travaillent en fonction des saisons et des régions. Lui, est tondeur de moutons, et vu le nombre de moutons rencontrés, il doit avoir du travail. Il est écrit que le pays compte cinq millions d’habitants pour cinquante millions de moutons, ce qui lui laisse un peu de temps à vivre ici.
Il nous relate la vie de ces paysans éleveurs et nous dit combien il se régale et combien leurs vies sont plaisantes. Ils nous mettent l’eau à la bouche (ce qui nous change un peu de la bière..) concernant la ballade du lendemain dans l’Abel Tasman, ils en arrivent et nous parlent de leur rencontre avec les phoques.
Belle fin de soirée où les derniers verres s’échangent en prévision de la finale, ce soir encore nous avions le rugby au cœur et le vin gai.

 Nous reprenons la route pour rentrer au camping, l’air nous fait du bien, mais la route est bien plus longue qu’à l’aller. Aux alentours de vingt-trois heures trente, retranchés dans notre antre, nous attaquons La coinche quotidienne. La spirale de la défaite s’arrête enfin et nous battons à plate couture le couple ICHER-RABOU. Soyons honnêtes leurs facultés d’attention semblent légèrement émoussées ce soir.

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